Observations du Gouvernement sur les recours dirigés contre la loi relative à la rétention de sûreté et à la déclaration d'irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental

JurisdictionFrance
Publication au Gazette officielJORF n°0048 du 26 février 2008
Record NumberJORFTEXT000018162904
CourtCONSEIL CONSTITUTIONNEL
Date de publication26 février 2008

Le Conseil constitutionnel a été saisi, par plus de soixante députés et plus de soixante sénateurs, de deux recours dirigés contre la loi relative à la rétention de sûreté et à la déclaration d'irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental, adoptée le 7 février 2008.
Les recours mettent en cause les articles 1er, 3, 4, 12 et 13 de la loi. Ils appellent, de la part du Gouvernement, les observations suivantes.

*
* *

I. ― Sur l'article 1er :
A. ― L'article 1er de la loi déférée insère dans le code de procédure pénale des dispositions instituant un régime de rétention de sûreté et de surveillance de sûreté. La rétention de sûreté est susceptible de s'appliquer, à titre exceptionnel, aux personnes condamnées à plus de quinze ans de réclusion par une cour d'assises pour les crimes les plus graves, lorsque la cour d'assises a expressément prévu cette possibilité et si, au terme de leur peine, à l'issue d'un réexamen de leur situation, il est établi qu'elles présentent une particulière dangerosité caractérisée par une probabilité très élevée de récidive parce qu'elles souffrent d'un trouble grave de la personnalité.
Un condamné auquel ce régime est susceptible de s'appliquer suit un parcours individualisé d'exécution de sa peine défini à l'issue d'une évaluation intervenant un an après que la condamnation est devenue définitive et que la libération conditionnelle peut interrompre à tout moment. Deux ans avant la date prévue de sa libération, il justifie des suites qu'il a données aux propositions de suivi médical et psychologique qui lui ont été faites. Au moins un an avant la date prévue de sa libération, sa situation est examinée par la commission pluridisciplinaire des mesures de sûreté afin d'évaluer sa dangerosité. Il est placé pendant au moins six semaines dans un service spécialisé pour les besoins de cette évaluation qui est assortie d'une expertise.
A titre exceptionnel, lorsque aucune autre mesure n'est de nature à prévenir le renouvellement d'infractions graves, et si la commission conclut à la particulière dangerosité du condamné, elle peut proposer par avis motivé qu'il fasse l'objet d'une rétention de sûreté dans des cas exceptionnels. Cette rétention consiste dans le placement de la personne intéressée en centre socio-médico-judiciaire de sûreté dans lequel lui est proposée, de façon permanente, une prise en charge médicale, sociale et psychologique destinée à permettre la fin de cette mesure. La décision de rétention de sûreté est prise par la juridiction régionale de rétention de sûreté. Elle est susceptible de recours et est valable pour une durée d'un an qui peut être prolongée, si les conditions sont remplies, après avis favorable de la commission pluridisciplinaire des mesures de sûreté.
Si la rétention de sûreté n'est pas prolongée ou s'il y est mis fin, la juridiction régionale de la rétention de sûreté peut placer la personne sous surveillance de sûreté pendant une durée d'un an. Ce placement est susceptible de recours et renouvelable selon les mêmes modalités que la rétention de sûreté. La surveillance de sûreté comprend des obligations identiques à celles prévues dans le cadre de la surveillance judiciaire.
Les députés et sénateurs auteurs des saisines soutiennent, à titre principal, que la mesure de rétention de sûreté aurait le caractère d'une peine. Ils en déduisent que, faute pour elle de réprimer une infraction, cette mesure contreviendrait aux principes de légalité des délits et des peines, de nécessité des peines et méconnaîtrait l'article 66 de la Constitution qui prohibe la détention arbitraire. Les sénateurs requérants ajoutent que la loi déférée serait, sur ce point, contraire au principe non bis in idem et méconnaîtrait l'autorité de la chose jugée par le juge pénal. Les saisissants font valoir, à titre subsidiaire, pour le cas où la rétention de sûreté n'aurait pas la nature d'une peine, que les dispositions de l'article 1er de la loi déférée seraient contraires aux exigences de l'article 9 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen et porterait une atteinte disproportionnée au principe constitutionnel de sauvegarde de la dignité de la personne humaine.
B. ― La loi n'encourt aucune des critiques qui lui sont adressées.
1. Le Gouvernement tient à rappeler, à titre liminaire, que la loi déférée vise à compléter un ensemble de mesures destinées à assurer le suivi et la surveillance des personnes les plus dangereuses, condamnées pour des faits très graves et qui présentent un risque élevé de récidive. Ces mesures ont pour seule fin de prévenir le renouvellement d'infractions. Elles se sont, malheureusement, révélées insuffisantes pour prévenir le renouvellement de très graves crimes.
Sur la période récente, la volonté du législateur de faire échec à la récidive par l'institution de mécanismes appropriés apparaît avec la loi n° 98-468 du 17 juin 1998 relative à la prévention et à la répression des infractions sexuelles ainsi qu'à la protection des mineurs. Elle a institué le suivi socio-judiciaire, prévu par l'article 131-36-1 du code pénal, qui consiste principalement en une obligation de se soumettre, sous le contrôle du juge de l'application des peines, pendant une durée déterminée, à des mesures de surveillance et d'assistance destinées à prévenir la récidive. Il peut comprendre une injonction de soins dans les conditions prévues par l'article 131-36-4 du code pénal.
La loi n° 2004-204 du 9 mars 2004 portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité, jugée conforme à la Constitution (voir décision n° 2004-492 DC du 2 mars 2004), a pour sa part créé le fichier judiciaire national automatisé des auteurs d'infractions sexuelles ou violentes.L'inscription sur ce fichier oblige les personnes concernées à justifier régulièrement de leur résidence après leur condamnation.
La loi n° 2005-1549 du 12 décembre 2005, jugée conforme à la Constitution (voir décision n° 2005-527 DC du 8 décembre 2005), a institué deux autres mesures : la surveillance judiciaire et le placement sous surveillance électronique mobile. Le condamné placé sous surveillance judiciaire est astreint à une série d'obligations dont, notamment, les mesures de contrôle visées à l'article 132-44 du code pénal et, le cas échéant, une injonction de soins. Le placement sous surveillance électronique mobile permet de contrôler à distance les déplacements d'une personne dont la dangerosité a été établie à partir de sa libération.
Cependant, dans des cas très exceptionnels mais dramatiques, ces différentes mesures ont été insuffisantes pour prévenir la récidive de personnes extrêmement dangereuses qui présentent encore, à l'issue de leur peine, des risques très élevés de réitération. Ce sont notamment celles qui ont refusé les soins.
C'est pourquoi la loi déférée organise, pour les auteurs des crimes les plus graves, un parcours spécifique d'exécution de la peine au terme duquel, après des évaluations successives effectuées à différentes étapes antérieures à leur libération, leur situation est réexaminée. La loi prévoit que, si ces personnes souffrent d'un trouble grave de la personnalité et si la probabilité qu'elles commettent à nouveau les crimes les plus graves est très élevée, une mesure de rétention de sûreté pourra être décidée à leur encontre, selon une procédure strictement définie et encadrée par le législateur.
Le régime créé par la loi déférée est conçu pour ne s'appliquer, dans un champ très étroitement défini, qu'aux seules personnes dont la particulière dangerosité est établie, à l'issue de leur peine, en dépit du suivi adapté et personnalisé qui leur a été proposé, et pour lesquelles aucune des mesures déjà instituées par le législateur n'est à même de contenir le risque élevé de réitération.
L'objectif qui a été poursuivi par le législateur en adoptant ces dispositions nouvelles tient à la préservation de l'ordre public et à la garantie de la sécurité des personnes. Au vu de cet objectif éminent et compte tenu des garanties soigneusement déterminées par le législateur, le Gouvernement considère que les différentes critiques adressées à la loi déférée ne sont pas fondées.
2. Le Gouvernement est fermement d'avis que, contrairement à ce que soutiennent les parlementaires saisissants, la mesure de rétention de sûreté ne revêt pas le caractère d'une peine.
D'une part, la rétention de sûreté poursuit un but exclusivement préventif. Une telle mesure n'est, d'autre part, pas décidée par une juridiction de jugement. On peut, en outre, observer que des mesures comparables instituées dans différents pays étrangers n'ont pas été reconnues comme présentant la nature d'une peine.
a) La rétention de sûreté a un but exclusivement préventif.
Le Gouvernement considère que c'est essentiellement par le but poursuivi que se distinguent peine et mesure de sûreté. Il s'agit du critère déterminant pour différencier ces deux notions, ainsi qu'il ressort de la jurisprudence du Conseil constitutionnel (voir décision n° 86-215 DC du 3 septembre 1986 ; décision n° 93-334 DC du 20 janvier 1994 ; décision n° 2005-527 précitée).
A la différence, en effet, de la peine qui, même si elle peut également avoir une fonction dissuasive, regarde d'abord vers le passé et inflige une punition à raison de l'infraction qui a été commise, la mesure de sûreté est exclusivement orientée vers l'avenir et ne vise qu'à prévenir la commission d'une infraction. La peine poursuit un but punitif, la mesure de sûreté n'a qu'un but préventif visant à neutraliser un état dangereux susceptible de conduire à un comportement répréhensible. La mesure de sûreté est conçue pour recevoir application avant la commission d'une nouvelle infraction, qu'elle vise précisément à prévenir par des moyens adaptés. Elle ne présente pas une nature différente des mesures de police.
Au cas présent, la finalité de la mesure ne fait pas de doute : elle a pour seul objet de prévenir le renouvellement d'infractions de la part de personnes condamnées pour...

Pour continuer la lecture

SOLLICITEZ VOTRE ESSAI

VLEX uses login cookies to provide you with a better browsing experience. If you click on 'Accept' or continue browsing this site we consider that you accept our cookie policy. ACCEPT