Saisine du Conseil constitutionnel en date du 22 novembre 2004 présentée par plus de soixante députés, en application de l'article 61, alinéa 2, de la Constitution, et visée dans la décision n° 2004-506 DC

JurisdictionFrance
Publication au Gazette officielJORF n°287 du 10 décembre 2004
Record NumberJORFTEXT000000806157
CourtCONSEIL CONSTITUTIONNEL
Date de publication10 décembre 2004



LOI DE SIMPLIFICATION DU DROIT


Monsieur le président, mesdames et messieurs les membres du Conseil constitutionnel, nous avons l'honneur de vous déférer, conformément au deuxième alinéa de l'article 61 de la Constitution, l'ensemble de la loi de simplification du droit telle que définitivement adoptée par le Parlement le 18 novembre 2004.


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I. - Sur la violation de l'article 38 de la Constitution et ensemble l'objectif d'accessibilité et d'intelligibilité de la loi
I-1. Les auteurs de la saisine n'ignorent pas que vous admettez le recours à l'article 38 de la Constitution en matière de codification ou de simplification du droit (décision n° 2003-473 DC du 26 juin 2003) et alors même que le texte d'habilitation couvre les matières les plus diverses. Conformément à votre jurisprudence, vous contrôlez les exigences de précision et de finalité avec toute la rigueur nécessaire (décision n° 76-72 DC du 12 janvier 1977).
De même, il vous appartient, d'une part, de vérifier que la loi d'habilitation ne comporte aucune disposition qui permettrait de méconnaître les règles et principes de valeur constitutionnelle, d'autre part, de n'admettre la conformité à la Constitution de la loi d'habilitation que sous l'expresse réserve qu'elle soit interprétée et appliquée dans le strict respect de la Constitution (décision n° 86-207 DC des 25 et 26 juin 1986, considérants 14 et 15).
Pourtant ce contrôle risque de devenir platonique d'un double point de vue.
D'abord, les matières faisant l'objet d'une telle délégation sont devenues de plus en plus variées et plusieurs habilitations plurielles ont lieu pendant une même législature, sans égard à aucune condition d'urgence ou de nécessité particulière. Sans, par ailleurs, qu'existe davantage de besoin de codification véritable.
Ensuite, et plus gravement encore, cette multiplication des lois d'habilitation doit être mise en perspective avec la pratique des ratifications implicites.
La question posée est alors de savoir comment le Parlement et les citoyens peuvent connaître suffisamment l'état du droit en mouvement perpétuel quand de plus en plus de matières sont traitées par la voie des ordonnances, celles-ci pouvant être ratifiées sans que quiconque ne le sache ou, plus exactement, n'en ait une conscience réelle.
Il s'ensuit que cette situation ne peut que poser un problème grave au regard de l'esprit de l'article 38 de la Constitution et de l'objectif d'accessibilité et d'intelligibilité de la loi. Ce dernier principe se déduit, en effet, du principe d'égalité devant la loi énoncé par l'article 6 de la Déclaration de 1789 et de la garantie des droits requise par l'article 16 de cette même déclaration qui pourraient n'être pas assurés de manière effective si les citoyens ne disposaient pas d'une connaissance suffisante des normes qui leur sont applicables. Une telle connaissance est, de plus, nécessaire à l'exercice des droits et libertés garantis par les articles 4 et 5 de la Déclaration de 1789 (décision n° 99-421 DC du 16 décembre 1999).
D'une certaine manière, la question posée est celle de la sécurité juridique.
I-2. Un récent exemple vient de démontrer spectaculairement que le jeu des lois d'habilitations multiples combiné avec un usage inconsidéré des ratifications implicites pouvait rendre impossible le contrôle de la loi par le Parlement et mettre les justiciables dans une situation de privation des garanties attachées aux droits reconnus par la Déclaration de 1789.
Ainsi, dans son arrêt du 29 octobre 2004, le Conseil d'Etat a considéré que plusieurs dispositions de l'ordonnance n° 2004-559 du 17 juin 2004 relative aux contrats de partenariat avaient fait l'objet d'une ratification implicite au travers d'un article voté dans le cadre de la loi de santé publique du 9 août 2004. Il est vrai que l'application de la théorie des ratifications implicites n'allait pas de soi dans la mesure où le Parlement discutait de la ratification expresse de cette même ordonnance en octobre 2004 ! Ratification expresse revendiquée par le Gouvernement lui-même lors de la séance du 13 octobre 2004. Ainsi, M. le secrétaire d'Etat à la réforme de l'Etat, M. Eric Woerth, s'exprimant au nom du Gouvernement, avait-il précisé.
« La commission a bien travaillé ; je ne vois pas pourquoi le texte devrait lui être renvoyé. Sur la ratification, le Gouvernement joue le jeu : nous demandons une ratification expresse. »
Il est vrai que M. le commissaire du Gouvernement a qualifié cette ratification d'accidentellement implicite (conclusions de M. Didier Casas). Autrement dit, il faut désormais considérer que le Parlement vote la loi à l'insu de son plein gré. Cela est donc une question majeure posée à la représentation nationale et aux citoyens !
Certes, il est admis depuis longtemps que puisse intervenir une ratification implicite d'une ordonnance. Mais le Conseil constitutionnel a eu l'occasion de préciser qu'une telle ratification pouvait résulter d'une manifestation de volonté implicitement mais clairement exprimée par le Parlement (DC n° 72-73 du 29 février 1972).
La jurisprudence du Conseil d'Etat inclinait jusqu'alors dans le même sens.
A cet égard, il faut relever l'exigence de la jurisprudence pour éviter toute pratique déloyale la conduisant à refuser l'impunité juridictionnelle conférée par une ratification implicite, dans les cas où la loi de ratification s'avérerait incompatible, dans un domaine entrant dans le champ d'application de l'article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, avec les stipulations de cet article, au motif qu'en raison des circonstances de son adoption cette loi aurait eu essentiellement pour but de faire obstacle au droit de toute personne à un procès équitable (CE 27 mai 2002, SA Transolver Service).
I-3. Dans l'exemple de l'ordonnance du 17 juin 2004, la « ratification implicite accidentelle » admise par le Conseil d'Etat a pour conséquence de priver du droit au recours les justiciables ayant saisi le juge administratif d'un texte dont ils pensaient qu'il avait encore valeur réglementaire. Bien sûr, l'exercice de vigilance des parlementaires pourrait se traduire par la saisine préventive du Conseil constitutionnel des textes susceptibles de comporter des articles de ratification implicite. Mais, tous les domaines de l'article 34 de la Constitution étant désormais touchés par les lois d'habilitation et tous les projets de loi pouvant accidentellement porter une telle « ratification implicite accidentelle », il faudrait que les parlementaires saisissent automatiquement le Conseil constitutionnel de toutes les lois votées par le Parlement. Il en résulterait un engorgement du rôle de votre juridiction et, bientôt, une impossibilité concrète de satisfaire votre mission.
Il importe donc que la multiplication des lois d'habilitation sur une courte période et au cours d'une même législature, couvrant les domaines les plus variés, ne puisse conduire à un déséquilibre constitutionnel grave, dénaturant les droits du Parlement et susceptible de priver, in fine, les citoyens et les justiciables des droits reconnus par la Déclaration de 1789.
C'est pourquoi il vous appartient de mettre un coup d'arrêt à la dérive en cause en censurant les articles de la loi à...

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