Saisine du Conseil constitutionnel en date du 23 février 2017 présentée par au moins soixante sénateurs, en application de l'article 61, alinéa 2, de la Constitution, et visée dans la décision n° 2017-750 DC

JurisdictionFrance
Publication au Gazette officielJORF n°0074 du 28 mars 2017
Record NumberJORFTEXT000034290661
Date de publication28 mars 2017


LOI RELATIVE AU DEVOIR DE VIGILANCE DES SOCIÉTÉS MÈRES ET DES ENTREPRISES DONNEUSES D'ORDRE


Monsieur le Président,
Mesdames et Messieurs les Conseillers,
Les Sénateurs soussignés ont l'honneur de soumettre à votre examen, conformément au deuxième alinéa de l'article 61 de la Constitution, la loi relative au devoir de vigilance de sociétés mères et des entreprises donneuses d'ordre.
Les requérants estiment que les articles de la loi méconnaissent plusieurs principes constitutionnels.
Les requérants estiment que la loi méconnaît le principe de clarté de la loi.
Les imprécisions et ambiguïtés de la rédaction de la loi portent atteinte au principe de clarté de la loi, qui découle de l'article 34 de la Constitution, ainsi qu'à l'objectif de valeur constitutionnelle d'accessibilité et d'intelligibilité de la loi, qui découle des articles 4, 5, 6 et 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen. Selon la jurisprudence constante du Conseil constitutionnel, ces principes imposent au législateur « afin de prémunir les sujets de droit contre une interprétation contraire à la Constitution ou contre le risque d'arbitraire, d'adopter des dispositions suffisamment précises et des formules non équivoques » (1). Or, la méconnaissance du principe de clarté de la loi est particulièrement grave en matière pénale en vertu du principe de légalité des délits et des peines (cf. infra).
Les imprécisions et ambiguïtés du texte déféré s'appliquent à :
1. La notion d'effectivité de la mise en œuvre d'un plan de vigilance ;
2. Le référentiel normatif auquel doit se référer la loi ;
3. Le champ des fournisseurs et sous-traitants concernés par le dispositif ;
4. La nature et le régime de la mise en demeure ;
5. L'identification et le rôle des parties prenantes ;
6. Le délai de mise en œuvre de la loi ;
7. L'extraterritorialité du régime de responsabilité.
1. La loi impose à toute société mère ou donneuse d'ordre dépassant les seuils requis, de « mettre en œuvre de manière effective un plan de vigilance ». Or, l'effectivité de la mise en œuvre du plan de vigilance n'est pas clairement définie dans le texte, le plan devant comporter « les mesures de vigilance raisonnable propres à identifier les risques et à prévenir les atteintes graves ».
De plus, la loi dispose que « [l]e plan de vigilance et le compte rendu de sa mise en œuvre effective sont rendus publics ». Le contenu du compte rendu de la mise en œuvre effective du plan n'est pas précisé non plus. Quelles informations restituer et quel degré de précision apporter pour justifier, au-delà de la mise en œuvre du plan, de sa « mise en œuvre effective » ? Ainsi formulée, l'exigence est très floue.
2. La loi ne dit rien du référentiel normatif à l'aune duquel apprécier l'existence « d'atteintes graves envers les droits humains et les libertés fondamentales, la santé et la sécurité des personnes ainsi que l'environnement » résultant de l'activité de la société, de ses filiales, des sous-traitants et des fournisseurs. S'agit-il de normes françaises, européennes ou internationales ? En outre, l'expression « droits humain » ne figure dans aucune disposition constitutionnelle ou législative de droit interne, ni dans aucun traité international. L'expression « libertés fondamentales » ne renvoie à aucun concept juridique clair : les glissements sémantiques entre les concepts de « libertés publiques », de « droit fondamental » sont facteurs d'insécurité juridique puisqu'ils correspondent à des catégories juridiques différentes recouvrant des droits et libertés distincts. Il en est de même pour la référence à « la santé et la sécurité des personnes ainsi que l'environnement » : aucune définition des normes qui doivent être respectées et des atteintes concernées n'est fournie par le texte de la loi. Toutes ces incertitudes concernant des éléments standardisés de référence rendent incertain le contenu même de l'obligation à respecter et l'étendue de la responsabilité.
3. Le champ exact des sous-traitants et des fournisseurs devant être pris en compte dans le plan de vigilance est imprécis. La loi évoque « les activités des sous-traitants ou fournisseurs avec lesquels est entretenue une relation commerciale établie, lorsque ces activités sont rattachées à cette relation ». Ainsi, s'agit-il uniquement des sous-traitants et des fournisseurs de la société mère ou de ceux des sociétés et filiales contrôlées par la société mère également ? La rédaction de la loi ne permet pas de le déterminer et, dans le second cas, le risque d'intelligibilité de la loi est patent.
4. La loi prévoit que « Lorsqu'une société mise en demeure de respecter les obligations prévues au I n'y satisfait pas dans un délai de trois mois à compter de la mise en demeure, la juridiction compétente peut, à la demande de toute personne justifiant d'un intérêt à agir, lui enjoindre, le cas échéant sous astreinte, de les respecter ». Elle ne précise pas la nature de la mise en demeure visant à respecter l'obligation d'établir, de rendre public et de mettre en œuvre de manière effective un plan de vigilance, avant saisine du juge. Cette mise en demeure peut s'analyser de deux façons différentes : ouvrant la procédure de sanction, elle peut elle-même être analysée comme une sanction, ce qui justifie que, dès cette étape, les droits de la défense soient respectés. Elle peut également être analysée comme ayant une fonction didactique : elle sert alors essentiellement à préciser la nature des obligations auxquelles la société mère ou donneuse d'ordre doit se soumettre. En outre, la loi ne permet pas d'identifier le titulaire de ce pouvoir de mise en demeure : s'agit-il du juge, d'une administration (auquel cas laquelle ?) ou de « toute personne justifiant d'un intérêt à agir » ? Les incertitudes autour de la mise en demeure s'avèrent incompatibles avec l'exigence de clarté de la loi, mais également avec le principe de légalité des délits et des peines et le respect dû aux droits de la défense (dans le...

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