Observations du Gouvernement sur les recours dirigés contre la loi relative à la Corse

JurisdictionFrance
Publication au Gazette officielJORF du 23 janvier 2002
Date de publication23 janvier 2002
CourtCONSEIL CONSTITUTIONNEL
Record NumberJORFTEXT000000226388


La loi relative à la Corse, adoptée le 18 décembre dernier, a été déférée au Conseil constitutionnel par plus de 60 députés et par plus de 60 sénateurs. Les requérants adressent à la loi plusieurs séries de critiques qui appellent, de la part du Gouvernement, les observations suivantes :


I. - Sur la procédure suivie
lors de la réunion de la commission mixte paritaire


A. - Les sénateurs, auteurs du second recours, estiment que la procédure d'élaboration du texte n'aurait pas respecté les dispositions de l'article 45 de la Constitution. Ils font valoir en effet qu'après le refus opposé par la commission mixte paritaire à deux projets de rédaction de l'article 1er, le président de celle-ci aurait dû considérer qu'elle proposait de supprimer cet article, et poursuivre la discussion sur les autres dispositions restant en discussion. En s'en abstenant et en constatant l'échec de la commission, le président aurait fait obstacle à la mise en oeuvre de la procédure de conciliation prévue par la Constitution et méconnu l'article 45.
B. - Ce moyen ne saurait être retenu.
Aux termes du cinquième alinéa de l'article 40 du règlement de l'Assemblée nationale, applicable à la commission mixte paritaire en vertu du troisième alinéa de l'article 112 du même texte, « sous réserve des règles fixées par la Constitution, les lois organiques et le présent règlement, chaque commission est maîtresse de ses travaux ».
Le compte rendu établi par les rapporteurs des deux assemblées (n° 3389 pour l'Assemblée nationale, n° 76 pour le Sénat) atteste que la commission mixte paritaire, réunie le 15 novembre à l'Assemblée nationale, n'est pas parvenue à proposer un texte sur les dispositions restant en discussion. Après le rejet de deux propositions de rédaction pour l'article 1er, qualifié par les parlementaires qui se sont exprimés lors de la séance comme celui présentant les plus grandes difficultés, mais aussi la plus grande importance, le président de la commission a légitimement constaté que celle-ci ne parvenait pas à établir un texte pour cet article. Dès lors, il lui appartenait, au titre de ses pouvoirs dans la conduite des travaux de la commission, d'apprécier si ceux-ci pouvaient être utilement poursuivis ou s'il lui revenait de constater l'échec de la conciliation.
Il ressort clairement des rapports précités que le président de la commission mixte paritaire a valablement constaté qu'un texte ne pouvait être élaboré par la commission pour l'article 1er. (La suite des travaux parlementaires a, du reste, démontré qu'aucun accord n'a pu, sur ces dispositions, être trouvé entre l'Assemblée nationale et le Sénat.)
La procédure de conciliation confiée par l'article 45 de la Constitution à la commission mixte paritaire a donc été régulièrement mise en oeuvre.


II. - Sur l'article 1er


A. - L'article 1er du projet de loi insère, dans le code général des collectivités territoriales, de nouvelles dispositions relatives aux attributions de l'Assemblée de Corse.
Il modifie d'abord la rédaction de l'article L. 4424-1 de ce code pour préciser la compétence de l'assemblée qui « règle par ses délibérations les affaires de la Corse ».
Par ailleurs, les modifications apportées à l'article L. 4424-2 introduisent de nouvelles règles de procédure.
Le I de cet article encadre les conditions dans lesquelles l'Assemblée de Corse pourra proposer des modifications aux dispositions réglementaires concernant les collectivités de Corse ainsi que celles relatives au développement économique, social et culturel.
Le II du même article L. 4424-2 précise que la collectivité territoriale de Corse dispose d'un pouvoir réglementaire nécessaire à l'exercice de ses compétences et qu'elle peut demander à être habilitée par le législateur à fixer des règles spécifiques d'application des dispositions réglementaires propres à la Corse.
Le III, reprenant des dispositions en vigueur, précise les conditions dans lesquelles l'Assemblée de Corse peut demander des modifications de la législation en vigueur portant sur le même champ que le I.
Le IV offre à l'Assemblée de Corse la possibilité de demander au Gouvernement que le législateur l'autorise à expérimenter des dispositions spécifiques, adaptées à la Corse, dans les conditions que le Parlement fixera et sous son contrôle permanent. Les mesures ainsi adoptées auront un caractère provisoire, puisqu'elles cesseront de produire leur effet si, au terme du délai fixé, le Parlement n'a pas procédé à leur adoption.
Le V et le VI apportent des précisions de procédure sur les avis et demandes adoptés en application du présent article.
Enfin, l'article 1er de la loi insère dans la même section un nouvel article L. 4424-2-1 permettant d'assurer la publicité des demandes et avis de l'Assemblée de Corse par leur insertion au Journal officiel.
Selon les auteurs des recours, l'article 1er méconnaîtrait plusieurs dispositions ou principes constitutionnels : le principe de libre administration des collectivités locales posé par l'article 72, la compétence réglementaire dévolue au Premier ministre par l'article 21, le principe de la souveraineté nationale posé par l'article 3, la compétence du législateur fixée par les articles 34 et 37, le principe d'indivisibilité de la République posé par l'article 1er, le pouvoir d'initiative des lois prévu par l'article 39, les conditions de création de commissions parlementaires mentionnées par l'article 43 ainsi que le principe de clarté et d'intelligibilité des lois dégagé par la jurisprudence.
B. - Aucun de ces griefs n'est de nature à fonder une annulation de l'article 1er de la présente loi.
1. S'agissant de la compétence dévolue à l'Assemblée de Corse pour régler par ses délibérations les affaires de la Corse, il convient de rappeler que l'article L. 4421-1 du code général des collectivités territoriales, dans sa rédaction issue de l'article 2 de la loi n° 91-428 du 13 mai 1991 portant statut de la collectivité territoriale de Corse, dispose que « la Corse constitue une collectivité territoriale de la République au sens de l'article 72 de la Constitution ».
Cet article a été reconnu conforme à la Constitution par la décision n° 91-290 DC du 9 mai 1991. La disposition critiquée se borne, dès lors, à préciser, dans le strict respect des dispositions de l'article 72 de la Constitution qui prévoient que les collectivités locales s'administrent librement par des conseils élus, que l'Assemblée de Corse constitue l'organe collégial compétent pour gérer les affaires de cette collectivité territoriale que constitue la Corse.
Contrairement à ce que soutiennent les sénateurs requérants, cette disposition ne saurait être interprétée comme portant atteinte à la libre administration des autres collectivités territoriales de l'île.
2. S'agissant du pouvoir réglementaire dévolu à l'Assemblée de Corse par le II de l'article L. 4424-2, c'est à tort que les députés et sénateurs requérants font grief à cette disposition, d'une part, de reconnaître à cette assemblée un pouvoir réglementaire propre de portée générale, d'autre part, de méconnaître celui du Premier ministre. En effet, cette argumentation se méprend sur la portée de cette disposition, comme sur celle des règles et principes constitutionnels sur lesquels elle s'appuie.
a) Il importe, au préalable, de préciser la portée de cet article.
Son premier alinéa, aux termes duquel « le pouvoir réglementaire de la collectivité territoriale de Corse s'exerce dans le cadre des compétences qui lui sont dévolues par la loi », se borne, en réalité, à rappeler que la collectivité peut disposer d'un pouvoir réglementaire pour mettre en oeuvre les compétences que la loi lui reconnaît, et seulement celles-ci. Il ne fait donc qu'expliciter la portée du principe de libre administration des collectivités locales, qui implique que celles-ci disposent des compétences et des moyens d'en assurer la mise en oeuvre effective, dans les conditions prévues par la loi.
Ce premier alinéa, contrairement aux affirmations des auteurs de la saisine, n'a donc aucunement pour objet de confier à la collectivité territoriale de Corse un pouvoir réglementaire de portée générale dont elle ne définirait pas précisément le champ d'application. Le pouvoir réglementaire confié à la collectivité territoriale de Corse ne l'est pas, in abstracto, sur le fondement de cette disposition : c'est au cas par cas, dans cette loi, comme, le cas échéant, dans des lois ultérieures, que des dispositions précises attribuent ou attribueront à la collectivité un pouvoir réglementaire pour l'exercice de ses compétences.
Quant aux deuxième et troisième alinéas du même II de l'article L. 4424-2, ils fixent simplement la procédure selon laquelle la collectivité territoriale de Corse pourra demander à être habilitée par le législateur à fixer des règles adaptées aux spécificités de l'île, en précisant, conformément à la jurisprudence du Conseil constitutionnel, que la fixation de telles règles est exclue dans l'hypothèse où serait en cause l'exercice d'une liberté individuelle ou d'un droit fondamental. Contrairement, là encore, à ce que soutiennent les auteurs de la saisine, il ne peut être reproché à la loi de ne pas définir précisément le champ d'application du pouvoir ainsi conféré à la collectivité, puisqu'elle n'a pas cet objet. Il reviendra, en effet, ultérieurement au législateur, sous le contrôle du Conseil constitutionnel, de donner suite, s'il l'estime nécessaire, aux demandes formulées par la collectivité.
b) A ce stade, la procédure instituée par le II de l'article L. 4424-2 ne peut être considérée, en elle-même, comme méconnaissant un principe de valeur constitutionnelle, sauf à considérer qu'elle ne peut nécessairement déboucher que sur une habilitation contraire à la Constitution. En d'autres termes, pour faire droit à l'argumentaire des parlementaires requérants sur ce point, il serait nécessaire de juger que le législateur ne peut habiliter la collectivité territoriale de Corse à fixer des règles...

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