Saisine du Conseil constitutionnel en date du 11 février 2008 présentée par au moins soixante sénateurs, en application de l'article 61, alinéa 2, de la Constitution, et visée dans la décision n° 2008-562 DC

JurisdictionFrance
Publication au Gazette officielJORF n°0048 du 26 février 2008
Date de publication26 février 2008
CourtCONSEIL CONSTITUTIONNEL
Record NumberJORFTEXT000018162867



LOI RELATIVE À LA RÉTENTION DE SÛRETÉ ET À LA DÉCLARATION D'IRRESPONSABILITÉ PÉNALE POUR CAUSE DE TROUBLE MENTAL


Monsieur le président, mesdames et messieurs les membres du Conseil constitutionnel, nous avons l'honneur de vous déférer, en application du deuxième alinéa de l'article 61 de la Constitution, l'ensemble de la loi relative à la rétention de sûreté et à la déclaration d'irresponsabilité pour cause de trouble mental telle qu'adoptée par le Parlement.
A l'appui de cette saisine, nous développons les griefs et les moyens suivants à l'encontre, en particulier, des articles 1er, 3, 4 et 13 du projet de loi.
Afin d'éviter toute mauvaise compréhension de la présente saisine, ses auteurs entendent affirmer, à titre liminaire, leur attachement républicain à la sécurité des personnes et des biens ainsi qu'à l'objectif légitime de la lutte contre la récidive. Cependant, le respect de ces exigences ne doit pas aller jusqu'à méconnaître ouvertement les droits et libertés fondamentaux que la Constitution reconnaît à tous.

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I.-Sur l'article 1er de la loi

L'article 1er du projet de loi modifie le code de procédure pénale, afin de permettre le prononcé de mesures de rétention de sûreté à l'encontre de personnes achevant l'exécution de leur peine et présentant une " particulière dangerosité caractérisée par une probabilité très élevée de récidive ". Les personnes concernées doivent avoir été condamnées à une peine de réclusion criminelle d'une durée égale ou supérieure à quinze ans, pour une série de crimes commis sur mineurs ou de crimes aggravés.
Sous couvert d'une lutte contre les cas de récidive en matière sexuelle, le législateur a finalement investi un large champ d'incriminations pour créer une privation de liberté qui peut être perpétuelle, en violation des principes fondamentaux de la responsabilité et de la procédure pénale tels que consacrés par l'article 66 de la Constitution et les articles 7, 8 et 9 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen. En particulier, le motif permettant le prononcé de la mesure de rétention ne répond pas à l'exigence pour le législateur de définir les causes de l'emprisonnement en termes suffisamment clairs et précis. Cet article 1er opère en outre une rupture d'égalité devant la loi.

I-1. Sur la violation de l'article 66 de la Constitution
et des articles 7, 8 et 9 de la DDHC

La mesure de rétention de sûreté, tel que prévue par le projet additionnel d'un nouvel article 706-53-13 du code de procédure pénale, est, au-delà des mots employés par le projet de loi, une atteinte très grave et manifeste à la liberté individuelle telle que consacrée par l'article 4 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen. Le mécanisme prévu n'est en aucun cas comparable aux dispositifs précédemment validés par le Conseil constitutionnel, de telle sorte que l'ensemble des principes les plus établis et les plus nécessaires de la procédure et de la responsabilité pénale sont violés.
Conformément aux principes de votre jurisprudence, et conformément également à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme, l a qualification donnée par la loi n'est pas un motif déterminant pour caractériser l'existence d'une peine (décision n° 93-344 DC du 20 janvier 1994, décision n° 2004-504 DC du 12 août 2004). Or, au regard de la nature de la mesure, sa gravité ― caractérisée par un enfermement dans une enceinte pénitentiaire, la garde par un personnel de l'administration pénitentiaire ― et ses conditions d'application, la rétention de sûreté est un complément de peine, une prolongation très grave ― car d'une durée qui peut être perpétuelle ― de la privation de liberté.
Ainsi, la rétention prévue par le projet de loi n'est pas une mesure de police qui serait dépourvue de tout but rétributif ou expiatoire (Merle et Vitu, Traité de droit criminel, n° 610). Par la privation de liberté qu'elle entraîne, le caractère punitif est évident.
Elle n'est pas non plus une simple modalité d'exécution de la peine, comme le placement sous surveillance électronique mobile. Pour considérer que ce placement n'était pas une sanction, le Conseil constitutionnel avait notamment relevé :
" q ue la surveillance judiciaire est limitée à la durée des réductions de peine dont bénéficie le condamné ; qu'elle constitue ainsi une modalité d'exécution de la peine qui a été prononcée par la juridiction de jugement " (décision n° 2005-527 DC du 8 décembre 2005).
Par conséquent, loin de se fondre dans la peine en l'exécutant sous une autre forme, la mesure de rétention de sûreté prévue par le projet de loi est une authentique privation de liberté succédant à la peine principale et constituant la continuation de l'emprisonnement dans un autre lieu. Le consentement de l'intéressé n'est pas requis, contrairement au placement sous surveillance électronique d'une personne mise en examen dans le cadre d'un contrôle judiciaire (décision n° 2002-461 DC du 29 août 2002). Tandis que la privation de liberté est d'une durée indéterminée, qui pourra donc dépasser les réductions de peine dont bénéficie le condamné auxquelles la décision n° 2007-527 DC fait référence. Sans avoir commis de nouvelles infractions et bien qu'ayant déjà payé sa dette à la société, le condamné sera à nouveau privé de liberté en fonction d'un état présumé de dangerosité.
Il est d'ailleurs révélateur que l'alinéa 2 du nouvel article 706-53-13 du code de procédure pénale impose que la mesure de rétention, pour pouvoir être prononcée, ait été expressément envisagée par la cour d'assises lors de la condamnation initiale. Le législateur recherche par ce procédé une décision de justice justifiant le réexamen de la situation de la personne concernée à l'issue de l'exécution de la peine, en vue d'une éventuelle rétention de sûreté. Ce support juridictionnel constitue certes une garantie minimale pour le condamné, mais il est surtout une reconnaissance de la part du législateur : si l'intervention du juge pénal est requise, c'est la marque que nous sommes en présence d'une sanction au sens de l'article 5 de la CEDH.
De ce fait, la mesure de rétention de sûreté devient une peine prononcée pour une infraction qui n'a pas été commise, puisque hypothétique, violant ainsi le principe de la légalité des délits et de peines.L'établissement légal d'une infraction, au préalable d'une condamnation, est une règle fondamentale au cœur du système de garantie des droits et libertés fondamentaux.C'est ce qu'affirme l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen aux termes duquel :
" La loi ne doit établir que des peines strictement et évidemment nécessaires, et nul ne peut être puni qu'en vertu d'une loi établie et promulguée antérieurement au délit, et légalement appliquée. "
De même, le projet de loi viole l'interdiction de toute détention arbitraire, posée par l'article 66 de la Constitution (" Nul ne peut être arbitrairement détenu ") ainsi que le principe de la présomption d'innocence établi par l'article 9 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen : " Tout homme étant présumé innocent jusqu'à ce qu'il ait été déclaré coupable " (...) (décision n° 80-127 DC des 19 et 20 janvier 1981 ; décision n° 89-258 DC du 8 juillet 1989).
En effet, en rompant le lien de causalité entre une infraction et la privation de liberté, le projet de loi condamne une personne non plus en raison d'une infraction ― puisqu'elle a purgé sa peine ―, mais en ce qu'elle pourrait être l'auteur virtuel d'une infraction possible. Le Gouvernement répondra certainement que le projet de loi ne...

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