L'importance des divergences entre les droits nationaux de la propriété littéraire et artistique
Auteur | Jean-Luc Piotraut |
Occupation de l'auteur | Docteur en droit, Université Paul Verlaine-Metz |
Pages | 107-135 |
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La convergence des justifications philosophico-politiques données, dans les quatre pays étudiés, à la protection des brevets et marques explique, en grande partie, la proximité des régimes juridiques de ceux-ci. Corrélativement, la persistance d'importantes divergences entre les droits nationaux de la propriété littéraire et artistique est, sans nul doute, liée à l'opposition de leurs fondements théoriques respectifs. L'idée de récompense pécuniaire de l'effort créateur, quoiqu'elle soit combattue par une fraction de la doctrine française531, occupe certes une place importante dans les actuelles pensées juridiques anglo-américaine, allemande et communautaire. Il n'en reste pas moins que les droits français et allemand ont surtout tendance à retenir une approche jusnatura-liste de la propriété littéraire et artistique532, tandis que, en Angleterre et aux États-Unis, le législateur lui-même a mis en avant l'argument d'incitation à la création533, argument auquel le droit communautaire est d'ailleurs loin d'être insensible534.
Ces divergences conceptuelles conduisent à une harmonisation des droits nationaux de la propriété littéraire et artistique bien inférieure à celle des droits Page 108 de brevets et de marques, y compris au sein de l'Union européenne535. S'ensuit, par voie de conséquence, le maintien de disparités non négligeables entre les législations considérées536, qu'elles touchent l'accès (section I) ou l'étendue de la protection (section II).
En application de la Convention d'Union de Berne, la protection des droits de propriété littéraire et artistique concerne, au premier chef, les auteurs, « sur leurs "uvres littéraires et artistiques »537. Mais, sur la base notamment de l'accord ADPIC538, elle est aussi susceptible de viser différentes catégories d'auxiliaires de la création à raison de certaines de leurs activités.
En elle-même, la notion d'"uvre littéraire a fait l'objet d'une harmonisation non négligeable, qu'elle soit ou non d'origine conventionnelle, concernant notamment sa qualification539. Sa périphérie laisse cependant place à des approches réglementaires différenciées.
Entérinant une jurisprudence antérieure540, le Code français de la propriété intellectuelle dispose, de façon explicite, que « le titre d'une "uvre de l'esprit Page 109 [...] est protégé comme l'"uvre elle-même »541. Cette admission des titres dans le giron des "uvres protégées se retrouve également, malgré le silence de la loi, dans le droit allemand542. Ainsi, dans l'affaire du film « Le retour de Winne-tou », née de la contestation de l'utilisation du nom d'un personnage de fiction tombé dans le domaine public, la Cour fédérale de justice a certes validé l'utilisation non autorisée compte tenu notamment de l'absence de tout risque de confusion pour les consommateurs543. Mais elle n'en a pas moins expressément reconnu qu'un titre était protégeable par le droit d'auteur544.
Au contraire, les systèmes juridiques britannique et américain refusent, par principe, la protection des titres, même si l'exclusion n'y procède pas d'un texte de loi. Ainsi, au Royaume-Uni, la doctrine545 et la jurisprudence546 considèrent généralement que, en soi, un titre ne saurait être protégé par le droit d'auteur, tandis qu'aux États-Unis, outre le refus exprès de protection énoncé par les circulaires du Copyright Office547, la justice a eu l'occasion de formuler sa position en ces termes : « le droit d'auteur protégeant une "uvre littéraire ne confère aucun droit sur le titre lui-même »548.
Les jurisprudences française et allemande acceptent pareillement l'assimilation des personnages de fiction à des "uvres protégeables. La première s'est prononcée en ce sens à propos du personnage de Tarzan, créé par le romancier Edgar Rice Burroughs549, la seconde à propos d'un personnage de bandes dessinées550.
Mais c'est, à nouveau, la solution inverse qui est appliquée en Grande-Bretagne et aux États-Unis. S'agissant de la jurisprudence anglaise, elle se refuse Page 110 normalement à protéger les personnages de fiction par le droit d'auteur551, même si, en cas de réputation commerciale suffisante du personnage plagié, il lui arrive d'accueillir les actions en tromperie (ou passing off )552. La jurisprudence fédérale américaine est sur la même ligne, ayant jugé que les personnages de fiction, en tant que tels, ne sauraient donner prise au droit d'auteur553.
À la différence des droits de propriété industrielle, le droit d'auteur ne recèle en principe nulle condition spécifique de conformité des créations à l'ordre public et aux bonnes m"urs. C'est la raison pour laquelle les juges français
Telle n'est pourtant pas toujours l'approche suivie en Allemagne et au Royaume-Uni. Sur la base de la distinction législative entre les "uvres cinématographiques ou filmiques (en allemand, Filmwerke), soumises au droit d'auteur, et les simples séquences d'images (en allemand, Bildfolgen), relevant uniquement des droits voisins556, la jurisprudence germanique a pu être conduite, compte tenu du « genre de la création », à classer des films pornographiques dans la seconde catégorie557. La protection, conférée au seul producteur, se limite alors aux droits de divulgation du film et ne porte pas sur celui-ci en tant que tel558. Il est pareillement arrivé au juge britannique de refuser l'octroi de droits d'auteur pour des "uvres considérées comme obscènes, blasphématoires ou immorales, par exemple au sujet d'une pièce de théâtre faisant l'apologie de l'amour libre et de l'adultère559. Quoique rendue au début du xxe siècle, cette décision, apparemment datée, n'en a pas moins été visée en 1990 par la Chambre des Lords, laquelle n'a, semble-t-il, pris nulle distance avec cette jurisprudence560. Page 111
Pas plus que celle des "uvres littéraires, la soumission au droit d'auteur des "uvres artistiques ne souffre d'aucune discussion au sein des pays membres de l'Union de Berne561. Des nuances sont néanmoins perceptibles à l'égard de certaines composantes de la notion.
Les photographies sont assez semblablement protégées par le droit d'auteur en France, en Angleterre et aux États-Unis. 562Le Code français de la propriété intellectuelle vise, en effet, expressément les « "uvres photographiques et celles réalisées à l'aide de techniques analogues à la photographie »563, cette dernière précision, inspirées de la Convention de Berne, permettant par exemple la protection à ce titre des images de synthèse. Outre une définition de la photographie, entendue comme « l'enregistrement de la lumière ou d'une autre radiation sur un support quelconque, produisant ou susceptible de produire une image et ne faisant pas partie d'un film »564, la loi britannique inclut de même au sein de la catégorie des "uvres artistiques, en particulier, les photographies, « quelle qu'en soit la valeur artistique »565. En droit américain enfin, suite à leur admission jurispru-dentielle, dès le xixe siècle, dans la notion constitutionnelle d'écrits protégeables par le droit d'auteur566, le Copyright Act de 1976 assimile notamment les photographies à des "uvres picturales567, elles-mêmes visées par le législateur568.
Pour sa part, l'Allemagne dispose en la matière d'un régime spécifique dual, distinguant les "uvres photographiques (en allemand, Lichtbildwerke) et les simples photographies (en allemand, Lichtbilder) : aux termes de la Urheber-rechtsgesetz, les premières, qui supposent un caractère artistique, sont bien entendu soumises au droit d'auteur569, tandis que les secondes relèvent seule- Page 112 ment de droits voisins, d'une...
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