Avis sur le projet de loi de programmation 2018-2022 et de réforme de la justice tel que présenté en conseil des ministres le 20 avril 2018 - analyse des dispositions relatives à la procédure pénale et au droit des peines (assemblée plénière du 20 novembre 2018 - adopté à l'unanimité)

JurisdictionFrance
Publication au Gazette officielJORF n°0273 du 25 novembre 2018
Record NumberJORFTEXT000037641930
CourtCOMMISSION NATIONALE CONSULTATIVE DES DROITS DE L'HOMME
Date de publication25 novembre 2018

1. La CNCDH salue le principe de ce projet de loi d'ampleur relatif à la réforme de la justice. Le réalisme commande en effet qu'une réforme d'ensemble soit menée. Cependant, si certaines de ses dispositions vont dans le sens d'une véritable simplification et amélioration de la justice, le mouvement général de rationalisation et de gestion des flux fait craindre un accès au juge et à la justice dégradé. Cela est particulièrement prégnant pour la réforme envisagée de la procédure civile, de l'organisation des juridictions et du numérique. Sous prétexte de simplification et d'allègement des procédures, le projet de loi, au lieu de rapprocher la justice des citoyens, risque de les en éloigner davantage, en particulier, les plus vulnérables et les plus démunis, alors même que l'accès à la justice est un droit fondamental.
2. L'envergure et le foisonnement extrêmes du projet de loi ont contraint la CNCDH à concentrer son avis sur les seuls domaines de la procédure pénale et du droit des peines. De plus, dans l'impossibilité d'être exhaustive face aux innombrables modifications apportées aux dispositions concernant ces deux domaines, la Commission n'analysera dans le présent avis que quelques dispositions les plus emblématiques du projet de loi tel que présenté en conseil des ministres le 20 avril 2018 (1). De plus, une nouvelle fois la CNCDH regrette l'utilisation de la procédure accélérée s'agissant d'une réforme qui porte sur des sujets touchant aux libertés et droits fondamentaux.
3. La CNCDH comprend l'objectif de simplifier et de renforcer l'efficacité de la procédure pénale et du droit des peines, et au premier chef de renouer avec le sens de ces dernières, dans un souci d'améliorer la justice et de répondre aux préoccupations des citoyens. Elle rappelle néanmoins que cet objectif doit se concilier avec le respect des droits fondamentaux de la personne, tels que garantis par le Pacte international relatif aux droits civils et politiques, la Convention européenne des droits de l'homme, la Charte des droits fondamentaux et bien sûr les dispositions de l'article préliminaire du code de procédure pénale. C'est pourquoi, en qualité d'institution de conseil et de contrôle de la situation des droits fondamentaux en France, la CNCDH s'attachera dans cet avis à aborder les deux thématiques précitées, à savoir les dispositions de procédure pénale (I) et celles relatives au droit des peines (II).

I. - DISPOSITIONS PORTANT SIMPLIFICATION ET RENFORCEMENT DE L'EFFICACITÉ DE LA PROCÉDURE PÉNALE

4. A titre liminaire, la CNCDH salue certaines dispositions de procédure pénale, dès lors qu'elles réalisent soit une amélioration de la protection des droits du justiciable soit une simplification de certaines procédures.
5. Ainsi, la CNCDH approuve la simplification du dépôt de plainte (2), qu'il s'agisse de la plainte simple pour laquelle la signature électronique en ligne devient possible ou encore de la plainte avec constitution de partie civile possible en ligne également devant le tribunal correctionnel (3). La CNCDH rappelle toutefois que la situation des personnes démunies doit être prise en compte, afin que les plus vulnérables d'entre elles ne soient pas écartées de ce dispositif. En conséquence, elle recommande que de vrais moyens soient déployés pour rendre effectif l'accès de tous à la numérisation, notamment par la mise en place d'un accompagnement pour les personnes maîtrisant insuffisamment la langue française ou l'outil informatique. Par ailleurs, elle rappelle la nécessité de veiller à ce qu'un tel dispositif constitue réellement un outil pour aider les victimes et non un frein à leur action. C'est pourquoi, elle recommande le maintien d'un accueil physique et la possibilité de déposer une plainte auprès d'un fonctionnaire de police, notamment pour les infractions qui relèvent des atteintes à la personne, comme les violences sexuelles (4).
6. De même, la CNCDH approuve l'ajout dans le code de procédure pénale, à la demande du Conseil d'Etat (5), d'un article 802-2 permettant à la personne ayant fait l'objet d'une perquisition ou d'une visite domiciliaire et non poursuivie six mois après cette mesure, de demander, dans l'année, son annulation au juge des libertés et de la détention (JLD), ce qui renforce le droit à un recours judiciaire (6). Cependant, la CNCDH craint que ce recours ne soit seulement formel (7), dès lors qu'en pratique, les recours contre des perquisitions déjà effectuées sont très rares, comme on a pu le constater pendant l'état d'urgence (8). En outre, si la réforme du 8 août 2016 (9) a fait du JLD un juge spécialisé à part entière, nommé par décret du Président de la République après avis conforme du Conseil supérieur de la magistrature, pour autant, ce magistrat ne dispose pas encore des moyens d'exercer son office à égalité avec le juge d'instruction (10).
7. En matière criminelle, la CNCDH salue également les dispositions visant à réduire les délais des procédures d'assises bien qu'elle regrette qu'aucune réflexion approfondie sur une refonte de cette procédure n'ait été menée (11). Ainsi, le projet de loi prévoit l'obligation de motivation de la peine, imposée au demeurant par le Conseil constitutionnel dans sa décision du 2 mars 2018 (12). La CNCDH se félicite de cette mesure qui rétablit un équilibre procédural en alignant l'exigence de motivation des peines criminelles sur celle des peines correctionnelles, et même des amendes contraventionnelles (13). Elle approuve également la faculté offerte aux magistrats de mettre en délibéré ou de renvoyer la décision sur l'action civile, dans un objectif d'allègement des audiences, ou encore la faculté offerte au condamné de ne faire appel que sur la peine afin de simplifier les débats en appel. En ce qui concerne la réduction du principe de l'oralité par la mise à disposition du dossier aux assesseurs, la CNCDH peut comprendre cet impératif lorsque le premier assesseur est appelé à remplacer le président et qu'il doit impérativement connaître le dossier (14). S'agissant de la faculté offerte au président d'interrompre la déposition d'un témoin ou de lui poser une question sans attendre la fin de sa déposition " lorsque cela lui paraît nécessaire à la clarté et au bon déroulement des débats " (15), la CNCDH estime bienvenu l'assouplissement d'un cadre qui peut être considéré comme trop rigide. Pour autant, elle s'inquiète de cette réduction du principe de l'oralité des débats, d'ordre public devant la cour d'assises : " intimement lié à un autre principe fondamental de la procédure pénale, celui du contradictoire (…) c'est la condition essentielle d'un procès équitable au sens de l'article 6 de la convention européenne des droits de l'homme " (16).
8. En revanche et plus généralement, la CNCDH regrette le nombre de dispositions du projet de loi qui, sous couvert de " simplification et de renforcement de l'efficacité de la procédure pénale ", poursuivent un objectif avéré de gestion toujours accélérée des flux, sans égard au droit du justiciable à une justice de qualité. Ainsi, pour souligner deux lignes de force du projet de réforme qui l'inscrivent d'ailleurs dans la continuité d'une dérive de la procédure pénale (17), ancienne et encore aggravée (18), et non dans la rupture, d'une part, les pouvoirs de la police se voient une nouvelle fois accrus et le rôle du parquet également renforcé sans même que le statut de ce dernier eut fait l'objet de la réforme constitutionnelle tant attendue (1). D'autre part, le droit d'accès à un juge stricto sensu, c'est-à-dire, un magistrat pleinement indépendant, devient corrélativement résiduel en matière correctionnelle, aux dépens notamment des droits de la défense et du principe du contradictoire (2). La CNCDH tient également à présenter quelques brèves observations sur la création à titre expérimental du tribunal criminel départemental (3).
1) L'accroissement des pouvoirs de la police et du parquet aux dépens des droits et libertés du justiciable :
9. La CNCDH considère que certaines mesures relatives au contrôle de l'activité de la police satisfont assurément l'objectif de simplification affiché par le projet de loi mais non sans risques, notamment celui de sacrifier la qualité de la justice à la célérité à tout prix (A). Les plus nombreuses s'inscrivent dans un mouvement continu d'accroissement des pouvoirs policiers en enquête, sous le contrôle d'un ministère public encore plus fort (B), avec pour conséquence, la marginalisation, elle aussi continue, de la phase d'instruction (C).

A. - La réduction des contrôles par l'autorité judiciaire

10. La CNCDH s'inquiète du mouvement qui tend à déposséder progressivement l'autorité judiciaire de ses prérogatives de contrôle.
11. En premier lieu, le projet de loi prévoit, par exemple, une habilitation unique et définitive des officiers de police judiciaire (OPJ) (19), alors qu'actuellement celle-ci fait l'objet d'un examen au cours duquel le procureur général doit s'assurer que l'OPJ est affecté à un emploi comportant l'exercice des attributions attachées à sa qualité et qu'il présente en outre les qualités professionnelles et morales requises (20). Auditionnée dans le cadre du chantier relatif à l'amélioration et la simplification de la procédure pénale (21), la CNCDH avait émis un avis défavorable sur ces dispositions, dès lors qu'elles marquent un recul du pouvoir de surveillance exercé par l'autorité judiciaire sur la police judiciaire (22). C'est pourquoi, la CNCDH recommande le maintien d'un contrôle régulier.
12. En second lieu, dans le contexte cette fois de l'enquête, le projet de loi prévoit de rendre facultative la présentation au procureur de la République en cas de prolongation de la garde à vue (23) sauf si celui-ci " subordonne " son autorisation à cette présentation (24). La CNCDH rappelle que la garde à vue est une mesure grave car privative de liberté qui doit faire l'objet non seulement d'un encadrement mais aussi d'un contrôle par l'autorité...

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