Avis sur l'identité de genre et sur le changement de la mention de sexe à l'état civil

JurisdictionFrance
Publication au Gazette officielJORF n°0176 du 31 juillet 2013
Record NumberJORFTEXT000027778791
CourtCOMMISSION NATIONALE CONSULTATIVE DES DROITS DE L'HOMME
Date de publication31 juillet 2013



(Assemblée plénière du 27 juin 2013)


1. Par lettre en date du 8 janvier 2013, cosignée par la garde des sceaux et la ministre aux droits des femmes, la CNCDH a été saisie dans le cadre du programme d'actions interministérielles contre les violences et les discriminations commises à raison de l'orientation sexuelle ou de l'identité de genre. La saisine porte sur deux questions liées entre elles sans pour autant être assimilables l'une à l'autre : la première concerne la définition et la place de l'« identité de genre » dans le droit français ; la seconde porte sur les conditions de modification de la mention du sexe dans l'état civil. Les personnes transidentitaires (1) sont souvent stigmatisées, voire discriminées, et il n'est pas certain que les termes de la législation actuelle les protègent suffisamment contre les actes et les menaces dont elles peuvent être victimes. En outre, le parcours judiciaire de changement de sexe se traduit toujours par une dégradation de la condition sociale de la personne, contrainte pendant une durée trop longue à vivre dans un genre opposé à celui que lui reconnaît son état civil.

(1) Le terme de « transidentité » exprime le décalage que ressentent les personnes transidentitaires entre leur sexe biologique et leur identité psychosociale ou « identité de genre ». Cette notion englobe plusieurs réalités, parmi lesquelles celle des transsexuels qui ont bénéficié d'une chirurgie ou d'un traitement hormonal de réassignation sexuelle, celle des transgenres pour lesquels l'identité de genre ne correspond pas au sexe biologique et qui n'ont pas entamé de processus médical de réassignation sexuelle ; celle enfin des queer qui refusent la caractérisation binaire homme/femme. Pour désigner l'ensemble de ces personnes, la CNCDH a choisi d'employer les termes génériques de « transidentité » et de « personnes transidentitaires », sauf quand sont cités des documents officiels (décisions de la Cour de cassation, circulaires, textes européens ou rapport de la Haute Autorité de santé) qui emploient eux-mêmes les termes plus spécifiques de « transsexuels » ou « transgenres »



2. La CNCDH n'ignore pas que la mention du sexe demeure, dans notre droit, un élément essentiel de l'identification des personnes et que l'état civil revêt une forte importance symbolique dans la tradition républicaine française. L'état des personnes a en effet un rôle essentiel, à la fois au regard de l'intérêt général (puisqu'il permet une identification simple et sûre d'autrui) et au regard du sujet lui-même.
3. La CNCDH est par ailleurs consciente de la situation très précaire des personnes transidentitaires en France, victimes de discriminations et d'exclusion sociale. Le droit, non seulement n'est pas suffisamment protecteur pour ces personnes, mais contribue aussi à les maintenir pendant de nombreuses années dans une situation de grande vulnérabilité sociale. C'est pourquoi la CNCDH estime nécessaire une refonte de la législation française concernant l'identité de genre et le processus de changement de sexe à l'état civil. Les questions abordées, dont l'enjeu est d'améliorer la lutte contre les discriminations et de défendre le principe de l'égalité devant la loi, apparaissent pleinement et étroitement liées à la promotion des droits fondamentaux.
4. Pour fonder son avis, la CNCDH a sollicité la jurisprudence interne et les textes internationaux relatifs aux questions traitées. Elle a en outre procédé à de nombreuses auditions de chercheurs, de professeurs de droit, de représentants associatifs et de membres du Sénat. Des contributions écrites, adressées par des ONG, des médecins, des chercheurs en sciences sociales, et par le Défenseur des droits, ont permis de compléter le panel des arguments entendus.
5. De l'ensemble de ces travaux, et après débats contradictoires entre ses membres, la CNCDH a retenu le principe de l'introduction dans la loi du critère d'« identité de genre ». L'urgence d'un changement dans la procédure de modification de la mention de sexe dans l'état civil a par ailleurs incité les membres à recommander une démédicalisation totale et une déjudiciarisation partielle de la procédure.


I. ― L'identité de genre


6. Le concept d'identité de genre n'est pas présent dans le droit français. Lors du vote de la loi sur le harcèlement sexuel du 6 août 2012, la notion d'identité sexuelle a été préférée à celle d'identité de genre (2). Elle a été ajoutée au côté de la mention de l'orientation sexuelle afin de protéger les personnes transsexuelles ou transgenres, comme le précise la circulaire CRIM 2012-15/E8-07.08.2012 d'application de cette loi. Les termes « orientation sexuelle » qui figuraient dans l'article 225-1 du code pénal ont ainsi été remplacés par l'article 4 de la loi par les termes « orientation ou identité sexuelle (3).

(2) Pour comprendre ce choix, il faut resituer le vote de la loi dans son contexte. La loi sur le harcèlement sexuel visait à combler le vide juridique laissé par la décision du Conseil constitutionnel d'invalider la loi existante sur le harcèlement sexuel. Introduire la notion d'identité de genre à ce moment-là aurait pu susciter des débats propres à retarder et peut-être à mettre en péril le vote de la loi. Des députés de l'opposition s'étaient en effet prononcés contre l'introduction par amendement de la notion d'identité de genre, assimilant cette notion à la « théorie du genre » qu'ils dénoncent comme un révisionnisme anthropologique (3) Cette modification a également été effectuée dans toutes les dispositions législatives qui utilisaient l'expression orientation sexuelle, notamment celles des articles 132-77, 21-4, 222-3, 222-8, 222-10, 222-12, 222-13, 222-18-1, 222-24, 222-30, 226-19, 311-4 et 312-2 du code pénal prévoyant les circonstances aggravantes commises en raison de l'orientation sexuelle de la victime, et celles des articles 24, 32, 33 et 48-4 de la loi sur la presse réprimant les provocations, diffamations et injures commises en raison de cette orientation sexuelle



7. Néanmoins, bien que la notion d'identité de genre n'apparaisse pas dans la législation française, elle est présente dans plusieurs textes internationaux. L'identité de genre a été introduite en tant que définition précise par un collège d'experts en droit international de tous les continents, pour l'ONU en 2007, dans les principes de Jogjakarta. Ceux-ci sont repris dans le rapport du haut-commissaire aux droits de l'homme des Nations-unies en novembre 2011. La définition donnée dans les principes de Jogjakarta est la suivante : « L'"identité de genre” fait référence à l'expérience intime et personnelle de son genre profondément vécue par chacun, qu'elle corresponde ou non au sexe assigné à la naissance, y compris la conscience personnelle du corps (qui peut impliquer, si consentie librement, une modification de l'apparence ou des fonctions corporelles par des moyens médicaux, chirurgicaux ou autre) et d'autres expressions du genre, y compris l'habillement, le discours et les manières de se conduire. »
8. La notion d'identité de genre est en outre présente au sein du système des droits de l'homme du Conseil de l'Europe...

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