Avis relatif à la création d'un « mécanisme national de référence » en France pour l'effectivité des droits des personnes victimes de traite des êtres humains

JurisdictionFrance
Publication au Gazette officielJORF n°0108 du 3 mai 2020
Record NumberJORFTEXT000041842515
CourtCOMMISSION NATIONALE CONSULTATIVE DES DROITS DE L'HOMME
Date de publication03 mai 2020

Assemblée plénière du 28 avril 2020 (adoption à l'unanimité moins trois abstentions)

Abstract

Afin de rendre effectifs les droits des personnes victimes de traite des êtres humains, la CNCDH recommande la création, en France, d'un véritable " mécanisme national de référence " pour la détection, l'identification, l'orientation et l'accompagnement des victimes de traite, présumées ou avérées. La CNCDH se félicite ainsi des démarches entreprises en ce sens par la Mission interministérielle pour la protection des femmes victimes de violences et la lutte contre la traite des êtres humains (Miprof) et les ministères concernés, en début d'année 2020. La mise en place de ce mécanisme est d'autant plus nécessaire et urgente que la pandémie de covid-19 risque de fragiliser encore davantage les personnes susceptibles d'être victimes d'exploitation.
Le mécanisme national de référence vise à garantir le respect des droits fondamentaux des personnes victimes de toutes les formes de traite des êtres humains, et ce, qu'elles soient mineures ou majeures. Il doit permettre l'autonomie et la résilience de ces personnes, en répondant de manière cohérente et protectrice à leurs besoins. Le mécanisme recouvre ainsi trois formes d'action : une identification " préalable " ; une identification " formelle " ; et un accompagnement global.
D'abord, le mécanisme doit donner une place centrale à la protection des victimes, en prévoyant un processus de " double identification " : préalable et formelle. L'identification préalable correspond à la détection de potentielles victimes et à l'évaluation du risque qu'elles soient effectivement dans une situation de traite. La CNCDH recommande de formaliser l'identification préalable, en officialisant la participation des acteurs de terrain par une habilitation à signaler une victime présumée aux autorités compétentes. Elle recommande également que la seconde étape, l'identification formelle, s'appuyant sur la première, soit élargie au-delà des seuls services de police, de gendarmerie et d'inspection du travail, et qu'elle soit détachée de la coopération de la victime présumée dans l'enquête judiciaire, ce qui favorisera sur le moyen terme la poursuite des auteurs.
Ensuite, pour permettre un accompagnement global et protecteur des personnes, il est indispensable de formaliser la coopération entre acteurs et de renforcer les services, puisque les besoins des victimes de traite dépendent de nombreux secteurs de politiques publiques. La création du mécanisme doit ainsi nécessairement débuter par une évaluation approfondie du contexte, mais certaines faiblesses structurelles et problèmes fonctionnels peuvent d'ores et déjà faire l'objet d'une attention particulière. Par exemple, le renforcement et le déploiement des " référents traite des êtres humains " ; l'accès à un hébergement protecteur ; l'application des dispositions existantes en matière de droit au séjour ; ou encore la garantie du principe de non-sanction des victimes de traite des êtres humains.
En plaçant la protection des victimes de traite au cœur de l'identification et en renforçant la coopération entre acteurs et l'accessibilité des services, le mécanisme national de référence permettra non seulement d'améliorer l'effectivité des droits fondamentaux des personnes, mais aussi de renforcer les poursuites des auteurs et donc la lutte contre ce phénomène. La CNCDH réitère l'importance de la création du mécanisme national de référence en France et encourage la Miprof à poursuivre ses efforts de concertation en ce sens, y compris avec la société civile.

1. Dans son avis sur le Second plan d'action national contre la traite des êtres humains (i) (2019-2021) (ii), la Commission nationale consultative des droits de l'homme (CNCDH), notait que la " mise en place d'un mécanisme national de référence " était utilement prévue par ce plan, mais ce uniquement par le biais d'une circulaire, ce qui ne correspond pas aux attentes dans la lutte contre ce phénomène à l'échelle internationale (iii). Afin d'améliorer la politique française de prévention et de lutte contre la traite des êtres humains, la CNCDH recommande la création, en France, d'un véritable " mécanisme national de référence " pour la détection, l'identification, l'orientation et l'accompagnement des victimes de traite, présumées ou avérées. L'actuelle pandémie de covid-19 rend sa mise en place d'autant plus nécessaire et urgente que la situation économique crée de nombreux risques parmi les plus vulnérables de se retrouver en situation d'exploitation ou de traite.
2. La CNCDH se félicite des démarches entreprises en ce sens, depuis le début de l'année 2020, par la Mission interministérielle pour la protection des femmes victimes de violences et la lutte contre la traite des êtres humains (MIPROF) et les ministères concernés. Elle propose ici une explicitation du concept de " mécanisme national de référence " et des observations destinées à guider sa conception et sa mise en œuvre à l'échelle française.
3. Ce mécanisme a en effet pour objectif principal de garantir le respect des droits fondamentaux des personnes victimes de traite et de favoriser leur autonomie et résilience dans la société sur le long terme. Pour ce faire, il doit répondre de manière cohérente et protectrice aux besoins de ces personnes, mineures et majeures, indépendamment du type d'exploitation dont elles sont victimes (exploitation à des fins économiques, sexuelles, d'esclavage domestique, d'obligation à mendier, de contrainte à commettre des délits, etc.)
4. Or, en raison notamment de la dépendance et de l'isolement délibérément créés par les auteurs des faits, les besoins des personnes victimes sont variés et dépendent ainsi de nombreux secteurs de politiques publiques, et donc, de l'intervention de multiples acteurs. L'orientation et l'accompagnement des victimes requièrent donc d'une part l'existence de services adaptés, et d'autre part une coopération efficace entre acteurs : le mécanisme vise à formaliser ces exigences.
5. Les travaux de l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) (iv) relèvent qu'un mécanisme recouvre trois formes d'action à l'égard des personnes victimes de traite : une identification " préalable " ou " proactive " ; une identification " formelle " ; et un accompagnement global de la personne, de sa détection à son autonomisation sur le long terme en incluant toute protection nécessaire.
6. L'efficience du mécanisme suppose ainsi, pour la CNCDH, que sa conception puis sa mise en œuvre soient guidées, en premier lieu, par la priorisation de l'enjeu de l'identification des victimes, qui, dans le contexte français, doit être repensée pour donner une place centrale à la protection des victimes présumées ou avérées (première partie) ; et en second lieu par la formalisation de la coopération entre acteurs et le renforcement des services pour permettre un accompagnement global et protecteur sur tout le territoire national, y compris ultra-marin (deuxième partie).

PREMIÈRE PARTIE : PLACER LE PRINCIPE DE PROTECTION AU CŒUR DES IDENTIFICATIONS " PRÉALABLE " ET " FORMELLE "

7. La protection des victimes présumées et avérées constitue un aspect central du mécanisme, dans la mesure où elle favorise largement leur identification. En effet, la protection des victimes permet de créer les conditions de la création d'un lien de confiance afin que la personne puisse livrer son récit et donc être identifiée comme victime et, si elle le souhaite, coopérer dans l'enquête judiciaire. C'est pourquoi la protection d'une victime présumée doit être déclenchée dès l'identification préalable (I) et primer pendant et au-delà de l'identification formelle (II).

I. - L'identification " préalable " : étape de déclenchement de la protection des victimes présumées
A. - L'identification " préalable " : une phase non formalisée en France

8. L'identification " préalable " correspond au processus de détection de victimes présumées, en plusieurs étapes. D'abord la détection d'indices pouvant suggérer qu'une personne se trouve dans une situation de traite des êtres humains ; ensuite l'évaluation de la probabilité que la personne soit effectivement dans cette situation ; et enfin, le cas échéant, l'orientation de la victime présumée, si elle y consent, vers les autorités habilitées à procéder par la suite à son identification formelle.
9. L'identification préalable peut ainsi reposer sur de nombreux acteurs, spécialistes ou non des questions de traite et d'assistance aux victimes. La détection d'indices peut en effet être le fait de tout citoyen témoin d'une situation alarmante, qui observerait par exemple des signes de détresse chez l'employé de maison de ses voisins ou le personnel d'un restaurant. La détection peut aussi être le fait de professionnels non spécialistes, comme du personnel soignant, ou un conducteur de bus international qui s'inquiéteraient de la situation, respectivement, d'un patient ou d'un passager. C'est pourquoi la sensibilisation du grand public et des professionnels non spécialistes, bien que dépassant le concept strict du mécanisme, peut largement contribuer à l'amélioration de la détection de potentielles victimes.
10. L'évaluation de la probabilité que la personne soit effectivement victime, afin de l'identifier comme victime présumée, demande cependant une certaine expertise. Elle doit donc reposer sur des professionnels formés, en mesure d'analyser les faits, d'informer la personne sur ses droits, et d'obtenir le cas échéant son consentement éclairé pour l'orienter vers les autorités procédant à l'identification formelle. Il peut s'agir d'associations spécialistes des questions de traite sous toutes ses formes, de syndicats, mais aussi d'associations spécialistes de la protection de l'enfance, de la santé, d'accompagnement de personnes étrangères, etc.
11. En France, bien qu'en pratique certains professionnels contribuent quotidiennement à la détection de victimes, la phase...

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