Avis du 8 août 2013 relatif aux jeunes enfants en prison et à leurs mères détenues

JurisdictionFrance
Publication au Gazette officielJORF n°0204 du 3 septembre 2013
Record NumberJORFTEXT000027920183
Enactment Date08 août 2013
CourtCONTROLEUR GENERAL DES LIEUX DE PRIVATION DE LIBERTE
Date de publication03 septembre 2013



1. Lorsque des parents sont privés de liberté, le choix ou bien de les séparer de leurs enfants ou bien, pour éviter les effets de la séparation, d'associer ces derniers à la privation de liberté est une alternative en soi insatisfaisante.
C'est parce qu'aucune réponse positive ne peut être donnée à ce choix que, dans son rapport annuel pour l'année 2010, le contrôleur général a souhaité qu'une réflexion s'engage pour que les mères détenues avec enfants se voient nécessairement accorder un aménagement de peine, ou bénéficient d'une suspension de peine, pour maternité (1), ou accèdent à une libération conditionnelle.
Dès lors qu'aucune évolution en la matière n'est intervenue depuis plus de deux ans, le contrôleur général, d'une part, se voit contraint de renouveler ici sa proposition, d'autre part, de revenir sur la condition carcérale des mères et de leurs enfants en France.
2. La loi française permet que des mères qui ont commis des infractions et sont, pour ce motif, incarcérées comme prévenues ou condamnées peuvent être emprisonnées avec leurs enfants. L'article 38 de la loi pénitentiaire prévoit que l'établissement qui en héberge passe convention avec le département pour assurer l'accompagnement social nécessaire.
Le code de procédure pénale (depuis un décret du 6 décembre 1998) (2) limite cette présence simultanée. Seuls les enfants jusqu'à l'âge de 18 mois peuvent rester auprès de leur mère en détention ; pendant les douze mois suivants (3), de « courtes périodes » de relations avec la mère (qui ne sont pas autrement définies) sont possibles. On doit comprendre qu'au-delà le régime normal des parloirs, en vigueur dans l'établissement, est applicable. Il peut être dérogé à l'âge limite de 18 mois, mais sur décision exceptionnelle après avis d'une commission : dans la pratique, peu de prolongations sont accordées ; seulement lorsque la date de libération de la mère suit de peu la limite des 18 mois ou par survenue d'un événement exceptionnel. Cette limite de 18 mois est nécessairement arbitraire. Personne ne la remet sérieusement en cause : l'âge auquel l'enfant commence à se mouvoir aisément coïncide avec la prise de conscience de l'enfermement.
Le code dispose aussi que mère et enfant doivent être installés dans des « locaux spécialement aménagés » et que le service pénitentiaire d'insertion et de probation « en liaison avec les services compétents en matière d'enfance et de famille et avec les titulaires de l'autorité parentale » organise le séjour de l'enfant, ses sorties à l'extérieur et prépare l'échéance de sa séparation avec sa mère.
Le surplus est réglé par voie de circulaire de la garde des sceaux du 18 août 1999 (AP 99-2296 PMJ2).
3. Les droits fondamentaux de l'enfant doivent être mis en œuvre avec une particulière vigilance. L'article 3 de la Convention internationale des droits de l'enfant impose aux autorités ou aux tribunaux d'avoir « l'intérêt supérieur de l'enfant » comme une « considération primordiale » dans toutes les décisions qu'ils prennent et la Cour européenne des droits de l'homme fait sienne cette exigence (par exemple, CEDH, 28 juin 2007, Wagner et JMWL c/ Luxembourg, n° 76240/01, § 120), en interprétant la protection du droit au respect de la vie familiale (4), notamment, à la lumière de cet article 3.
Cette interprétation conduit, d'une part, à ce que chaque Etat non seulement protège la vie familiale d'ingérences arbitraires des pouvoirs publics ; mais aussi décide de mesures positives, c'est-à-dire assure à la fois « le droit d'un parent à des mesures propres à le réunir à son enfant mais aussi le droit de l'enfant à des mesures propres à le réunir à son parent » (CEDH, 7 mars 2013, Raw c/ France, n° 10131/11).
Mais elle ne peut, d'autre part, ignorer ce que la Convention internationale des droits de l'enfant impose aux Etats : en cas d'emprisonnement de l'un ou des deux parents, donner des informations au reste de la famille sur l'endroit où il(s) se trouve(nt) (article 9) ; offrir la possibilité dans toute procédure judiciaire à l'enfant d'être entendu, soit directement, soit par l'intermédiaire d'un tiers (article 12) ; respecter le droit des parents de guider l'enfant en matière de liberté de pensée, de conscience et de religion (article 14) ; s'interdire des immixtions arbitraires ou illégales dans la vie privée de l'enfant (article 16) : s'employer à garantir la responsabilité des parents d'élever l'enfant (article 18) ; protéger l'enfant de toute forme de violence, d'abandon et de négligence (article 19).
La Convention indique enfin (article 37) que nul enfant ne saurait être soumis à la torture ou à un traitement cruel, inhumain ou dégradant : que le recours à l'emprisonnement d'un enfant doit n'être qu'une « mesure de dernier ressort » et « être d'une durée aussi brève que possible ». L'enfant privé de liberté doit être traité humainement « et d'une manière tenant compte des besoins des personnes de son âge ».
4. La détention des mères avec leurs enfants n'est qu'un palliatif visant à concilier l'inconciliable : la présence d'un enfant auprès de sa mère et le caractère insupportable de la présence d'un jeune enfant en prison. Certes, on fera valoir que l'enfant auprès de sa mère détenue ne s'y trouve pas à la suite d'une infraction ; ce que l'administration pénitentiaire en France traduit, avec raison (cf. article D. 149 du code de procédure pénale), en ne procédant pas à l'écrou de cet enfant. Mais cette considération de nature juridique n'est pas de nature à modifier la réalité. C'est bien du point de vue de la présence en prison de ces enfants, et de la capacité des mères à jouer leur rôle auprès d'eux, que les droits fondamentaux obligent à considérer la réalité des « quartiers mères et enfants » pénitentiaires.
5. Il ressort des principes ci-dessus que, comme il a été indiqué d'emblée, tout doit être fait pour éviter l'incarcération des femmes avec...

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