Avis « Urgence climatique et droits de l'Homme » (A - 2020 - 6)

JurisdictionFrance
Publication au Gazette officielJORF n°0130 du 6 juin 2021
Record NumberJORFTEXT000043606419
CourtCOMMISSION NATIONALE CONSULTATIVE DES DROITS DE L'HOMME
Date de publication06 juin 2021

Avis adopté lors l'assemblée plénière du 27 mai 2021

Adoption à l'unanimité, moins deux abstentions


Résumé


L'urgence climatique constitue aujourd'hui une menace globale à laquelle est confrontée la planète, affectant l'ensemble des droits de l'Homme et mettant en péril l'existence de l'humanité. Dans cet avis, la CNCDH appelle la France à jouer un rôle moteur dans les enceintes internationales et européennes pour que soit adoptée une approche de l'action climatique fondée sur les droits de l'Homme, avec en particulier la consécration du droit à un environnement sain. La CNCDH formule ensuite des recommandations quant aux mesures actions nécessaires qui doivent être prises au niveau national par les pouvoirs publics pour renforcer le cadre juridique existant de lutte contre le changement climatique. Enfin, la CNCDH propose des différentes pistes concrètes pour renforcer l'éducation, la formation, l'information et la participation du public et l'accès au juge dans le domaine des changements climatiques ainsi la protection des défenseurs des droits.

1. Le changement climatique représente " une menace existentielle pour la planète et nos vies même ". C'est avec ces mots que le secrétaire général des Nations unies, António Guterres, a lancé le 8 septembre 2020, avant la 75e session de l'Assemblée générale des Nations unies, un cri d'alarme à l'ensemble des Etats leur demandant d'agir de concert face à l'urgence climatique.

2. Depuis l'ère industrielle, les sociétés humaines, en recourant massivement aux combustibles fossiles, ont provoqué le réchauffement de la planète et ont largement dégradé la biodiversité et les milieux naturels. Ces effets, " sujet de préoccupation pour l'humanité tout entière " (i), sont dévastateurs tant pour la nature que pour l'humain, et ce sont les populations les plus démunies et précaires qui en subissent les plus graves conséquences. Selon le rapport spécial du Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC) " les impacts du réchauffement planétaire sur les systèmes naturels et humains sont déjà visibles […] De nombreux écosystèmes terrestres et océaniques et certains des services qu'ils rendent ont déjà changé sous l'effet du réchauffement planétaire " (ii).

3. Les récentes températures enregistrées battent des records : sur les 18 années les plus chaudes depuis 136 ans, 17 sont postérieures à 2001. Dans son rapport Human Cost of Disasters publié en octobre 2020, le Bureau des Nations unies pour la réduction des risques de catastrophe (UNSDIR) considère que le changement climatique a fait doubler le nombre de catastrophes naturelles au cours de ces vingt dernières années. Ces évolutions confirment les résultats des modèles élaborés depuis la fin des années 80 par les scientifiques, notamment dans le cadre du GIEC. Ces modèles prévoient une forte hausse des températures moyennes et des phénomènes extrêmes qui vont rendre inhabitable une bonne partie des zones de peuplement actuelles. Pour les deux décennies à venir, la quantité de CO2 déjà présente dans l'atmosphère détermine largement cette évolution, et la réponse principale à cette situation relève de mesures d'adaptation (iii). Quant aux mesures d'atténuation, à savoir la diminution des émissions de CO2, elles sont critiques pour la période au-delà de 2040 et détermineront si les valeurs actuellement prévues pour 2100 seront atteintes, valeurs déjà incompatibles avec le maintien d'une bonne partie du vivant, y compris de l'humanité. Par ailleurs, la nature non linéaire d'une partie des phénomènes mis en cause et leurs interactions dans un système complexe, comme en témoigne par exemple l'acidification des océans, créent des boucles de rétroaction qui vont encore accélérer le rythme du changement. L'enjeu actuel est donc de ne pas franchir un point de basculement irréversible aux conséquences dramatiques.

Recommandation 1 : La CNCDH recommande aux pouvoirs publics français de mener résolument le combat contre les bouleversements climatiques et environnementaux en cours, reconnaissant ainsi que ceux-ci mettent en péril l'existence même de l'humanité et des autres espèces vivantes, et affectent par conséquent l'ensemble des droits de l'Homme en même temps qu'ils renforcent les inégalités sociales dans tous les pays de la planète.

4. L'année 2020, deuxième année la plus chaude jamais enregistrée, devait constituer une année prioritaire et déterminante sur la scène internationale pour la lutte contre les changements climatiques. Cependant, la crise sanitaire liée à la covid-19 a considérablement ralenti, voire interrompu, cette lutte, au plan tant national qu'international. Les réunions internationales en lien avec le climat et la biodiversité ont été suspendues, à l'instar de la COP26 de Glasgow prévue pour novembre 2020 et reportée d'une année. Pourtant, cette crise devrait être une occasion sans précédent pour mettre en place ces politiques. C'est pourquoi, António Guterres, dans son rapport Riposte globale du Système des Nations unies face à la COVID-19, place l'action climatique au cœur des mesures de sortie de la crise sanitaire (iv).

5. Paradoxalement, les mesures adoptées par les Etats, notamment les plus riches, ont négligé les impératifs liés à la lutte contre les dérèglements climatiques. Ce constat est d'autant plus alarmant au vu du rôle des changements climatiques dans la diffusion et la propagation de maladies infectieuses (v) et du lien avéré entre celles-ci et tant la dégradation de l'environnement que la diminution de la biodiversité (vi). Dans son rapport de 2020, le Programme des Nations unies pour l'environnement (PNUE) démontre que les gouvernements ont consacré davantage de financements aux énergies fossiles qu'aux énergies renouvelables face à la covid-19 (vii). Il en est de même des mesures prises en France qui, comme le relève le Haut Conseil pour le Climat (HCC) (viii), ont " été principalement tournées au nom de l'emploi vers les secteurs très émetteurs de l'automobile et de l'aviation, sans conditionnalité ferme concernant leur évolution vers une trajectoire compatible avec les objectifs nationaux " (ix). Le gouvernement, qui s'est doté le 3 septembre 2020 d'un plan de 100 milliards pour relancer l'économie, a accordé une place présentée comme centrale à l'écologie. Il n'en demeure pas moins que les mesures environnementales restent insuffisantes et présentent, comme le souligne toujours le HCC, " un risque de verrouiller la France dans des activités fortement émettrices " (x).

Recommandation 2 : La CNCDH rappelle aux pouvoirs publics que la crise sanitaire liée à la covid-19 ne doit en aucun cas constituer un frein à la lutte contre la crise climatique. Elle recommande que les pouvoirs publics se saisissent de cette pandémie pour construire une économie respectueuse de l'environnement dont la croissance ne dépendra plus de la production des seules énergies fossiles.

6. Le changement climatique constitue une menace globale pour l'ensemble des droits de l'Homme ce qui appelle à une coopération internationale et régionale (I). Par ailleurs, les pouvoirs publics en France doivent prendre des mesures nécessaires pour renforcer le cadre juridique (II) et les moyens de mobilisation (III) pour la lutte contre le changement climatique.


1. Le changement climatique : une menace globale pour les droits de l'Homme appelant une coopération internationale et régionale


7. Les changements climatiques constituent l'un des plus grands défis auxquels est confrontée la planète au xxie siècle. Leurs effets touchent l'ensemble des Etats mais de manière disproportionnée et inégale. La majeure partie des émissions de gaz à effet de serre (GES) ont été produits par les pays développés qui, du fait de politiques de développement irresponsables, portent une lourde responsabilité dans la dégradation de la planète et se devraient donc " d'être à l'avant-garde de la lutte contre les changements climatiques et leurs effets néfastes " (xi). De leur côté, les populations les plus vulnérables et les Etats du Sud, qui émettent peu de GES, sont les plus durement affectés et ne disposent pas des moyens nécessaires pour lutter efficacement contre le phénomène.

8. Depuis trente ans, plusieurs organes internationaux ont rendu des rapports alarmants sur la gravité de la situation, en appelant régulièrement les Etats à réduire drastiquement leurs émissions de GES afin de maintenir l'augmentation de la température moyenne mondiale en dessous de 2° C par rapport à l'époque préindustrielle, et à poursuivre leurs efforts pour atteindre la neutralité carbone en 2050 et limiter cette hausse à 1,5° C. Créé en 1988 par l'Organisation météorologique mondiale (OMM) et le PNUE, le GIEC est un organe intergouvernemental composé de scientifiques et de spécialistes du climat, de l'économie et des sciences politiques, qui a pour mandat d'évaluer et mettre à jour les apports des nouvelles informations de nature scientifique sur le changement climatique. Il rend à intervalles réguliers des rapports d'évaluation et des rapports spéciaux faisant état de la gravité de la situation, et demande régulièrement aux Etats d'effectuer des changements drastiques et rapides à tous les niveaux pour lutter contre les changements climatiques. La CNCDH salue à cette occasion l'augmentation d'1,5 million d'euros du financement du GIEC par la France jusqu'à la publication du sixième rapport à l'horizon 2022, et recommande au gouvernement de poursuivre cette trajectoire.

9. Au cours de ces dernières années, l'impact de la crise climatique sur les droits de l'Homme a commencé à être pris en compte, comme l'a constaté la CNCDH dans son avis du 16 avril 2015 sur le développement, l'environnement et les droits de l'Homme, dans lequel elle souligne que le changement climatique est " l'une des plus grandes menaces pour les droits de l'Homme dès maintenant pour les générations actuelles et plus encore pour les générations futures, qui souffriront...

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