Les règles substantielles, objet d'approches opposées
Auteur | Jean-Luc Piotraut |
Occupation de l'auteur | Docteur en droit, Université Paul Verlaine-Metz |
Pages | 65-80 |
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Qu'elle procède de la Convention de Munich sur la délivrance de brevets européens ou des directives et règlements communautaires, l'harmonisation européenne des législations nationales en matière de brevets et de marques est, on l'a vue, très poussée. Si bien que les droits français, allemands et britanniques en la matière sont devenus très proches les uns des autres. Les développements précédents ont en outre révélé l'ampleur des similarités entre les règles européennes et celles en vigueur aux États-Unis, que ce soit ou non à raison de conventions internationales. S'agissant précisément des brevets et des marques, de fortes convergences apparaissent ainsi à l'égard de l'objet et des conditions de la protection350, des prérogatives conférées351, ou encore de la défense des droits352. Page 66
Pareille proximité des régimes juridiques suppose à l'évidence un rapprochement des justifications philosophico-politiques avancées, en Europe et aux États-Unis d'Amérique, au soutien de la protection des brevets et marques. De fait, des arguments similaires sont effectivement retenus sur les deux continents. En premier lieu, l'incitation à la création, expressément visée, en matière de brevets, par la Constitution américaine353, et à laquelle le droit communautaire n'est pas insensible compte tenu de l'indéniable stimulation suscitée par les brevets dans la recherche scientifique et par les marques dans le marketing et la publicité. En deuxième lieu, l'idée, également admise par les Américains et les Européens, de récompense d'un effort créateur dans le domaine technique ou commercial, au titre duquel est octroyé le monopole d'exploitation sous réserve de ne pas affecter trop gravement la libre concurrence. En troisième lieu, prolongeant le précédent argument, la protection des investissements dans les domaines de la technologie et du commerce, qui, favorisée par la mondialisation des échanges, occupe désormais une place centrale dans les droits états-unien et communautaire de la propriété industrielle.
Ces convergences expliquent que les différences entre les droits européen et américain se limitent essentiellement à quelques oppositions d'approches quant aux règles substantielles (chapitre I) et à certaines variantes procédurales de délivrance des titres (chapitre II).
Les règles substantielles, objet d'approches opposées, concernent notamment les droits voisins du brevet d'invention (section I), la titularité du brevet (section II), les modes d'acquisition de la marque (section III) et quelques questions complémentaires (section IV).
À la périphérie du droit des brevets d'invention figurent différents titres de propriété révélant des différences d'approche selon les systèmes juridiques.
Au contraire des réglementations britannique et américaine qui ignorent l'institution, les droits français et allemand connaissent une sorte de « petit brevet »354 pareillement destiné à protéger les inventions techniques : il s'agit, en France, du certificat d'utilité et, en Allemagne, du modèle d'utilité (Gebrauch-muster). Ces notions, quoique voisines, se distinguent notamment en ce que le certificat d'utilité français peut être délivré pour tout type d'invention, incluant à la fois les produits et les procédés, tandis que le modèle d'utilité allemand est applicable aux seuls produits tangibles, à l'exclusion des procédés. Pour autant, la protection légale conférée est, en vertu des deux législations, soumise aux conditions de fond de la brevetabilité355, à savoir la nouveauté, l'activité inventive, l'application industrielle et la conformité à l'ordre public. Toutefois, l'exigence similaire d'une demande d'enregistrement auprès de l'Office natio- Page 68 nal des brevets se satisfait d'une procédure administrative allégée, sans examen de fond (ce qui, en droit français, dispense surtout de l'établissement d'un rapport de recherche). Cet allégement est, en contrepartie, source de limitation des effets conférés, notamment quant à la durée maximale de protection, laquelle est fixée à 6 ans en France et 10 ans en Allemagne.
Étant tous signataires à la fois de la Convention de Paris de 1961 (dite UPOV) pour la protection des obtentions végétales et de l'accord ADPIC de 1994, les quatre pays envisagés par la présente étude sont tenus d'octroyer une protection effective pour les nouvelles variétés végétales, que ladite protection passe par des brevets d'invention stricto sensu ou par des titres sui gene-ris. C'est ainsi que, aux États-Unis, après avoir un temps fait l'objet de titres spécifiques356, les variétés végétales y sont, depuis les années 1980, protégées par des brevets de plante (plant patents), délivrés par l'Office américain des brevets et des marques (USPTO) et largement soumis au droit commun des brevets compte tenu des développements particulièrement innovants de la bio-technologie357. Par contraste, les pays européens s'en tiennent à des titres de protection spécifique des variétés végétales. Ceci procède d'abord de l'art. 53, b) de la Convention de Munich sur le brevet européen, excluant en particulier la brevetabilité des variétés végétales358. Aussi le règlement (CE) nº 2100/94 du 27 juillet 1994 institue-t-il un régime ad hoc de protection communautaire des obtentions végétales sur la base des titres délivrés par l'Office communautaire des variétés végétales d'Angers. En outre, dès avant l'adoption de ce règlement, un semblable recours à des titres spécifiques était déjà en vigueur, en particulier en France, en Allemagne et au Royaume-Uni. En France, c'est en effet une loi du 11 juin 1970 qui est à l'origine du certificat d'obtention végétale (COV)359, lui-même délivré par le Comité de protection des obtentions Page 69 végétales, instance nationale placée auprès du ministère de l'Agriculture. En Allemagne, quoique la jurisprudence ait pu se montrer moins réticente envers la brevetabilité des plantes360, la loi sur la protection des variétés végétales (Sortenschutzgesetz) du 11 décembre 1985361 a mis en place un titre de protection similaire (en allemand, Pflanzensortenschutz), susceptible d'être délivré par l'Office fédérale des variétés végétales, le « Bundessortenamt », basé à Hanovre. Enfin, en Grande-Bretagne, un dispositif très voisin résulte du Plant Varieties Act de 1997362, imposant le dépôt d'une demande d'enregistrement auprès du UK Plant Variety Rights Office, installé à Cambridge.
Si les régimes ainsi édictés par les droits communautaires, français, allemands et anglais sont assez proches, ils diffèrent cependant quelque peu pour ce qui concerne la durée de la protection légale : alors que, en France, celle-ci est en principe de vingt ans, elle est normalement, selon les règles communautaire, allemande et britannique, de vingt-cinq ans, sauf pour les variétés de pommes de terre, de vignes ou d'arbres où elle est de trente ans.
Bien que tel n'ait pas toujours été le cas, la plupart des pays du monde, y inclus la France, l'Allemagne, le Royaume-Uni et les États-Unis, admettent désormais la brevetabilité de principe des médicaments363. D'où la nécessité d'articuler, dans les ordres juridiques concernés, les questions de santé publique et de droit des brevets.
À la différence de celle de nombre d'autres produits brevetables, la commercialisation des médicaments exige une autorisation préalable de mise sur le marché, laquelle, bien que le dépôt du brevet soit déjà intervenu, est rarement délivrée avant l'écoulement de plusieurs années. C'est précisément pour mettre fin à ce désavantage par rapport aux entreprises des autres secteurs que les industriels de la pharmacie, dont les coûts de recherche et développement sont déjà très élevés, ont fini par obtenir des pouvoirs publics américains et communautaires une prolongation de la durée de leurs brevets. Page 70
Une loi, dite Hatch-Waxmann, relative à la concurrence sur le prix des médicaments et à la restauration du terme des brevets, le Drug Price Competition and Patent Term Restoration Act364, a été votée par le Congrès des États-Unis en 1984. Outre la possibilité de mettre les médicaments génériques plus vite sur le marché, ce texte a admis, dans certaines conditions, la...
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