Conseil d'État, Assemblée, 17/12/2021, 437125, Publié au recueil Lebon

Judgement Number437125
Date17 décembre 2021
Record NumberCETATEXT000044516277
CourtCouncil of State (France)
Vu la procédure suivante :

Par une requête et trois nouveaux mémoires, enregistrés au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat les 25 décembre 2019, 5 juillet 2020, 1er octobre et 11 novembre 2021, M. G... Q... demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir la décision par laquelle le ministre de l'intérieur a rejeté sa demande tendant à ce qu'il prenne les mesures nécessaires pour l'application à la gendarmerie des dispositions de l'article 6 de la directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil du 4 novembre 2003 concernant certains aspects de l'aménagement du temps de travail ;

2°) d'enjoindre au ministre de l'intérieur de prendre les mesures nécessaires dans un délai de deux mois, sous astreinte de 100 euros par jour de retard.


Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- la Constitution ;
- le traité sur l'Union européenne ;
- le traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ;
- la directive 89/391/CEE du Conseil du 12 juin 1989 ;
- la directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil du 4 novembre 2003 ;
- le code de la défense ;
- le code de la sécurité intérieure ;
- le code général de la propriété des personnes publiques ;
- la circulaire n° 17400/GEND/DOE/SPSPSR/BSP du 4 novembre 2013 ;
- l'instruction n° 36132/GEND/DOE/SDSPSR/BSP du 8 juin 2016 ;
- l'instruction n° 35000/GEND/DSF du 13 décembre 2018 ;
- la circulaire n° 49500/GEND/DOE/SDSPSR/BSP du 10 juillet 2019 ;
- la circulaire n° 42000/GEND/DOE/SDSPSR/BSP du 16 mars 2021 ;
- l'arrêt de la Cour de justice de l'Union européenne du 9 mars 2021, RJ c/ Stadt Offenbach am Main (C-580/19) ;
- l'arrêt de la Cour de justice de l'Union européenne du 15 juillet 2021, B.K. c/ Republika Slovenija (Ministrstvo za obrambo) (C-742/19) ;
- le code de justice administrative ;


Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Alexis Goin, auditeur,

- les conclusions de Mme Mireille Le Corre, rapporteure publique ;



Considérant ce qui suit :

1. M. Q..., sous-officier de gendarmerie affecté dans la gendarmerie départementale, a demandé au ministre de l'intérieur de prendre les mesures nécessaires pour assurer l'application à la gendarmerie des dispositions de l'article 6 de la directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil du 4 novembre 2003, limitant la durée hebdomadaire du temps de travail. Par une lettre du 18 décembre 2019, le directeur général de la gendarmerie nationale, agissant par délégation de signature du ministre de l'intérieur, a refusé de faire droit à cette demande. M. Q... demande l'annulation pour excès de pouvoir de cette décision. Eu égard à son intérêt à agir, sa requête doit être regardée comme ne contestant cette décision qu'en tant qu'elle concerne la gendarmerie départementale.

2. Aux termes de l'article 6 de la directive du 4 novembre 2003 : " Les Etats membres prennent les mesures nécessaires pour que, en fonction des impératifs de protection de la sécurité et de la santé des travailleurs : / a) la durée hebdomadaire du travail soit limitée au moyen de dispositions législatives, réglementaires ou administratives (...) ; / b) la durée moyenne de travail pour chaque période de sept jours n'excède pas quarante-huit heures, y compris les heures supplémentaires. " En application des dispositions des articles 16, 17 et 19 de cette directive, le respect de cette durée hebdomadaire peut être vérifié sur une période de référence allant jusqu'à six mois pour, notamment, les activités de garde, de surveillance et de permanence ou caractérisées par la nécessité d'assurer la continuité du service. M. Q... soutient que la réglementation applicable dans la gendarmerie départementale méconnaît les objectifs de l'article 6 de la directive du 4 novembre 2003.

3. Saisi d'un moyen tiré de la méconnaissance de l'obligation de transposer les directives dans le cadre d'un litige dirigé contre le refus de l'autorité administrative de prendre les mesures de transposition d'une disposition d'une directive, il incombe au juge administratif de vérifier si ces mesures relèvent de la compétence de l'autorité qui a été saisie de la demande et si les textes législatifs ou réglementaires en vigueur n'assurent pas une transposition suffisante et conforme de la disposition en cause. Le juge de l'excès de pouvoir apprécie la légalité d'un tel refus au regard des règles applicables et des circonstances prévalant à la date de sa décision.

4. Les ministres des armées et de l'intérieur soutiennent, en défense, d'une part, que la demande de M. Q..., qui tend, selon eux, à l'annulation d'une décision individuelle relative à son temps de travail, ne relève pas de la compétence de premier et dernier ressort du Conseil d'Etat et, d'autre part, que les exigences constitutionnelles de nécessaire libre disposition de la force armée et de sauvegarde des intérêts fondamentaux de la Nation, au nombre desquels figurent l'indépendance de la Nation et l'intégrité du territoire, s'opposent à ce qu'il soit fait droit aux conclusions de la requête.

Sur l'exception d'incompétence du Conseil d'Etat soulevée par les ministres :

5. Aux termes de l'article R. 311-1 du code de justice administrative : " Le Conseil d'Etat est compétent pour connaître en premier et dernier ressort : (...) / 2° Des recours dirigés contre les actes réglementaires des ministres et des autres autorités à compétence nationale et contre leurs circulaires et instructions de portée générale ; (...) ".

6. Les décisions refusant de prendre un acte réglementaire doivent elles-mêmes être regardées comme de nature réglementaire. Par suite, le Conseil d'Etat est compétent pour connaître de telles décisions lorsqu'elles sont prises par les ministres. La requête de M. Q... étant dirigée contre le refus du ministre de l'intérieur de prendre des mesures relatives au temps de travail, qui relèvent de son pouvoir réglementaire d'organisation du service, et ne tendant pas, contrairement à ce que soutiennent les ministres, à l'annulation d'une décision individuelle relative à son temps de travail, elle relève de la compétence de premier et dernier ressort du Conseil d'Etat.

Sur le cadre juridique :

En ce qui concerne les exigences inhérentes à la hiérarchie des normes :

7. En vertu de l'article 88-1 de la Constitution : " La République participe à l'Union européenne constituée d'Etats qui ont choisi librement d'exercer en commun certaines de leurs compétences en vertu du traité sur l'Union européenne et du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, tels qu'ils résultent du traité signé à Lisbonne le 13 décembre 2007 ". Selon le paragraphe 3 de l'article 4 du traité sur l'Union européenne : " En vertu du principe de coopération loyale, l'Union et les Etats membres se respectent et s'assistent mutuellement dans l'accomplissement des missions découlant des traités. / Les Etats membres prennent toute mesure générale ou particulière propre à assurer l'exécution des obligations découlant des traités ou résultant des actes des institutions de l'Union. / Les Etats membres facilitent l'accomplissement par l'Union de sa mission et s'abstiennent de toute mesure susceptible de mettre en péril la réalisation des objectifs de l'Union ". La seconde phrase du paragraphe 1 de l'article 19 du même traité assigne à la Cour de justice de l'Union européenne la mission d'assurer " le respect du droit dans l'interprétation et l'application des traités ".

8. Le respect du droit de l'Union constitue une obligation tant en vertu du traité sur l'Union européenne et du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne qu'en application de l'article 88-1 de la Constitution. Il emporte l'obligation de transposer les directives et d'adapter le droit interne aux règlements européens. En vertu des principes de primauté, d'unité et d'effectivité issus des traités, tels qu'ils ont été interprétés par la Cour de justice de l'Union européenne, le juge national, chargé d'appliquer les dispositions et principes généraux du droit de l'Union, a l'obligation d'en assurer le plein effet en laissant au besoin inappliquée toute disposition contraire, qu'elle résulte d'un engagement international de la France, d'une loi ou d'un acte administratif.

9. Toutefois, tout en consacrant l'existence d'un ordre juridique de l'Union européenne intégré à l'ordre juridique interne, dans les conditions mentionnées au point précédent, l'article 88-1 confirme la place de la Constitution au sommet de ce dernier. Il appartient au juge administratif, s'il y a lieu, de retenir de l'interprétation que la Cour de justice de l'Union européenne a donnée des obligations résultant du droit de l'Union la lecture la plus conforme aux exigences constitutionnelles autres que celles qui découlent de l'article 88-1, dans la...

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