CAA de DOUAI, 2ème chambre, 09/04/2024, 21DA02925, Inédit au recueil Lebon

Presiding JudgeMme Viard
Record NumberCETATEXT000049424413
Judgement Number21DA02925
Date09 avril 2024
CounselCABINET LE PRADO-GILBERT
CourtCour administrative d'appel de Douai (Cours Administrative d'Appel de France)
Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme A... D... a demandé au tribunal administratif de Rouen de condamner le Groupe Hospitalier du Havre à lui verser une somme totale de 80 837,40 euros en indemnisation des préjudices résultant de sa prise en charge médicale dans cet établissement.

Par un jugement n° 1903920 du 28 octobre 2021, le tribunal administratif de Rouen a condamné le Groupe Hospitalier du Havre à verser à Mme D... une somme de 10 530 euros, et à la caisse primaire d'assurance maladie du Havre une somme de 31 449,18 euros au titre du remboursement de ses débours ainsi qu'une somme de 1 098 euros au titre de l'indemnité forfaitaire de gestion.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés les 22 décembre 2021 et 24 mai 2022, Mme D..., représentée par Me Aurore Bonduel, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) de condamner le Groupe hospitalier du Havre à lui verser une somme totale de 80 837,40 euros, ou subsidiairement de 73 753,66 euros, en indemnisation des préjudices résultant de sa prise en charge médicale dans cet établissement ;

3°) très subsidiairement, d'ordonner une nouvelle expertise ;
4°) de condamner le Groupe hospitalier du Havre aux entiers dépens de première instance et d'appel ;

5°) et de mettre à la charge du Groupe hospitalier du Havre une somme de 7 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :
- les conclusions de l'expertise judiciaire, dont le tribunal s'est largement écarté, retiennent l'existence de manquements fautifs imputables au Groupe Hospitalier du Havre (GHH) lors de son accouchement dans cet établissement :
- les conditions de réalisation du déclenchement de l'accouchement, pré et per-partum, sont fautives : son consentement n'a pas été recherché ; l'acte lui a été imposé sans qu'elle ait été en mesure de le refuser ; elle se prévaut du défaut de consentement libre et éclairé au déclenchement, conformément aux recommandations de la Haute Autorité de Santé (HAS) d'avril 2008, qui emporte la totalité des conséquences de l'acte médical non consenti ;
- en l'absence de dossier médical complet, la conformité du geste aux règles de l'art n'est pas établie ; le délai de réalisation du déclenchement, qui a eu lieu non à 13 heures mais vers 17 heures, n'est pas conforme aux règles de l'art ; la conformité du matériel utilisé n'est pas démontrée par le GHH ;
- les risques du geste invasif de déclenchement n'ont pas été évalués et il existait des alternatives au déclenchement, qui était précoce au regard des recommandations de la HAS ; cette faute a causé l'entier dommage ; subsidiairement, cette faute a privé Mme D... d'une chance de 90 % d'éviter la survenue de la complication ;
- le GHH a commis des fautes au stade de la prise en charge de la complication, post-partum : le délai de six heures de diagnostic de l'hématome est fautif ; cette faute a causé l'entier dommage ; subsidiairement, cette faute l'a privée d'une chance de 90 % d'éviter la survenue de la complication ;
- la surveillance post-partum a été insuffisante ; il y a lieu de confirmer son caractère fautif, retenu par les premiers juges ; cette faute a causé l'entier dommage ; subsidiairement, cette faute l'a privée d'une chance de 90 % d'éviter le préjudice subi, et non de 50 % comme l'ont retenu les premiers juges ;
- sur le défaut d'information : la preuve de l'information de la patiente n'est pas apportée en l'espèce ; dûment informée elle n'aurait pas consenti à l'acte, et a perdu une chance de 90 % d'éviter le préjudice subi ;
- elle est fondée à solliciter l'indemnisation de ses préjudices lesquels s'établissent comme suit :
* 5 837,40 euros au titre du déficit fonctionnel temporaire ;
* 40 000 euros au titre des souffrances endurées ;
* 20 000 euros au titre du déficit fonctionnel permanent ;
* 5 000 euros au titre du préjudice sexuel ;
* 10 000 euros au titre du préjudice d'impréparation.
Par un mémoire enregistré le 4 janvier 2022, la Caisse primaire d'assurance maladie du Havre (CPAM), représentée par Me Vincent Bourdon, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) de condamner le Groupe hospitalier du Havre à lui verser une somme de 62 898,38 euros au titre de ses débours, assortie des intérêts de droit à compter de l'arrêt à intervenir ;
3°) de condamner le Groupe hospitalier du Havre à lui verser la somme réglementairement fixée au jour de l'arrêt à intervenir, au titre de l'indemnité forfaitaire de gestion ;

3°) de mettre à la charge du Groupe Hospitalier du Havre une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

4°) subsidiairement, de confirmer le jugement.

La CPAM du Havre soutient que :
- les fautes imputables au Groupe Hospitalier du Havre sont établies par le rapport d'expertise judiciaire ; les dommages résultant intégralement de ces fautes, la responsabilité de l'établissement est engagée ; en particulier, en l'absence de consentement de la patiente, l'établissement de soins doit réparation intégrale des préjudices consécutifs à l'acte ;
- elle est fondée à solliciter l'indemnisation de ses débours, en lien avec cet accident médical fautif, lesquels s'élèvent à la somme totale de 62 898,38 euros ;
- il y a lieu, enfin, de lui verser la somme réglementaire correspondant à l'indemnité forfaitaire de gestion à laquelle elle a droit, en application des dispositions de l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale.

Par un mémoire en défense, enregistré le 29 avril 2022, le Groupe hospitalier du Havre, représenté par le cabinet Le Prado-Gilbert, conclut au rejet de la requête et des conclusions de la CPAM du Havre.

Il soutient que :
- le défaut de consentement libre et éclairé au déclenchement, moyen qui n'était pas invoqué en tant que tel en première instance, doit être écarté : le consentement est apprécié in concreto et n'est pas nécessairement établi par écrit, et en l'espèce Mme D... a fait l'objet d'un suivi particulier compte tenu de sa personnalité fragile et de son comportement addictif à l'époque des faits ; examinée le 26 décembre 2011, elle a été informée que l'accouchement serait déclenché le surlendemain et elle s'est présentée comme convenu le 28 décembre 2011 pour qu'il soit procédé au déclenchement de l'accouchement ;
- le geste, envisagé à 10h45, a été repoussé compte tenu de l'état de l'intéressée, et effectué à 13h dans les règles de l'art par une sage-femme qualifiée sur instructions d'un médecin, au moyen d'un amniotome métallique conformément aux recommandations de la HAS ; le percement n'est pas à l'origine des complications ;
- sur l'évaluation des risques, moyen nouveau en appel, la littérature médicale ne retrouve aucun cas d'hématome pelvi-périnéal lié à une amniotomie, alors que la primiparité constitue au contraire un important facteur de risque, et le percement ne présentait pas de risque particulier pour Mme D... ;
- sur la surveillance post-partum : le juge administratif n'est pas tenu par les conclusions de l'expert pour estimer que le délai du diagnostic n'était pas fautif ;
- le manquement prétendument fautif de l'hôpital dans sa surveillance post-partum ne peut être à l'origine que d'une perte de chance, et non de l'entier dommage ; il s'agit en l'espèce d'un aléa thérapeutique connu (un cas pour mille) ; les manquements retenus par le tribunal, à compter seulement du matin du 29 décembre 2011, sont contestables au regard du déroulement des faits ; en tout état de cause, les manquements ne sauraient être regardés comme ayant entraîné une perte de chance supérieure à 50 % ;
- sur le manquement au devoir d'information, moyen déjà invoqué en première instance, la preuve peut être apportée par tout moyen ; en l'espèce, il peut être raisonnablement déduit que Mme D... a nécessairement été informée de la possibilité d'un déclenchement de l'accouchement et des risques associés à ce geste ; cet indice probatoire est confirmé par le fait que le percement a été envisagé à 10h45, avant d'être reporté à 13h ;
- subsidiairement, un manquement des médecins à leur obligation d'information n'engage la responsabilité de l'hôpital que dans la mesure où il a privé le patient d'une chance de se soustraire au risque lié à l'intervention ; Mme D... n'établit pas qu'elle n'aurait pas accepté l'intervention ; en tout état de cause, le percement ne constitue pas l'origine du dommage qu'elle a subi, qui est une complication connue de l'accouchement lui-même ;
- à supposer que le GHH soit à l'origine d'un manquement fautif, la somme de 10 530 euros à laquelle il a été condamné en première instance procède d'une juste appréciation ;
- une nouvelle expertise serait frustratoire ;

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :
- le code civil ;
- le code de la santé publique ;
- le code de la sécurité sociale ;
- l'arrêté du 18 décembre 2023 relatif aux montants minimal et maximal de l'indemnité forfaitaire de gestion prévue aux articles L. 376-1 et L. 454-1 du code de la sécurité sociale pour l'année 2024 ;
- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Marc Baronnet, président-assesseur,
- les conclusions de Mme Caroline Regnier...

Pour continuer la lecture

SOLLICITEZ VOTRE ESSAI

VLEX uses login cookies to provide you with a better browsing experience. If you click on 'Accept' or continue browsing this site we consider that you accept our cookie policy. ACCEPT