Le nom de la fratrie est-il vraiment commun ?

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Sylvie Moisdon-Chataigner, Maître de conférences à la faculté de droit de Rennes, membre du laboratoire IODE-CRJO

1. Le choix du prénom mais aussi celui du nom. Avant la naissance d'un enfant il est souvent question entre les parents du choix des prénoms pour l'accueillir 1 . Pendant longtemps, le choix du nom de famille y est indifférent : qu'il bénéficie d'une filiation paternelle hors mariage ou pas, que sa filiation soit établie volontairement ou judiciairement, l'enfant reçoit le nom de son père. Depuis le 1er janvier 2005 les nouvelles dispositions du droit français imposent aux futurs parents de réfléchir 2 aussi au nom de l'enfant ce qui n'est pas anodin compte tenu de la dimension du nom de famille.

2. La place fondamentale du nom. Socialement, le nom de famille permet d'identifier les hommes dans une société. En tant qu'institution de police civile, il est le lien dans les rapports officiels avec les auto- rités publiques. Les pouvoirs publics doivent identifier les sujets de droit sans erreur 3 . Au sein de la famille, le nom représente aussi de nombreux symboles. Il est l'identité personnelle de chacun mais aussi son appartenance familiale parce qu'il est porté par tous les membres de la famille 4 . Le nom crée des liens avec ses parents mais aussi avec ses frères et soeurs 5 . Même dans les familles recomposées le nom prend une place singulière : le partage d'une partie commune d'un nom caractérise la nouvelle cellule et, en même temps, le nom porté par un enfant maintient le lien avec son autre parent 6 .

3. Du nom patronymique au nom de famille. Ces règles juridiques de dévolution du nom de famille sont devenues particulièrement complexes. Les règles anciennes tant coutumières que légales étaient pourtant simples : l'enfant dont la filiation était établie à l'égard du père portait inéluctablement le nom de celui-ci.

Un nom de famille autre que celui du père ayant établi sa filiation à l'égard de l'enfant était donc tout à fait exceptionnel 7. Considéré comme immuable en vertu de sa dimension sociale et indisponible en Page 13 vertu de sa dimension familiale et individuelle 8 , un choix parmi plusieurs noms ne peut relever de la volonté individuelle. Seule la loi peut intervenir sur la disponibilité du nom. Le législateur contemporain prit donc des initiatives favorisant le libre choix du nom par les parents. L'enrichissement onomastique, l'égalité entre les hommes et les femmes et celle entre les filiations sont ainsi recherchés 9 . Le bouleversement majeur est opéré par la loi nº2002-304 du 4 mars 2002. On ne parle plus de transmission du nom patronymique mais de dévolution du nom de famille. La révolution n'est pas que linguistique. Le libre choix du nom de famille de l'enfant est offert aux parents : l'enfant pourra porter le nom de son père ou le nom de sa mère ou encore les deux accolés dans l'ordre choisi par eux dans la limite d'un nom de famille pour chacun d'eux 10 . Avant même son entrée en vigueur, en raison de certaines difficultés d'interprétation, la loi fut réformée en début de la XII ème législature. La loi nº2003-516 du 18 juin 2003 a déterminé une nouvelle date pour l'application de la loi 11 . Elles seront, pour la plupart d'entre elles, applicables aux enfants nés après le 1 er janvier 2005.

4. L'entrelacement des différentes dispositions. Après cette première entrée en vigueur des règles de dévolution du nom de famille, les modifications légales ont continué. En effet, la réforme structurelle du droit de la filiation est engagée par l'ordonnance nº2005-759 du 4 juillet 2005 12 . Si ce texte ne porte pas directement sur le nom de famille, des corrections ont été apportées afin de faciliter l'application des règles et de les concilier avec les finalités de ladite ordonnance. En effet, ne parlant plus de filiation légitime ni de filiation naturelle, il était nécessaire de reprendre la distinction majeure de la dévolution du nom de famille en de nouveaux termes : dorénavant il s'agit de distinguer suivant que la filiation est établie simultanément, ou alors, établie successivement. Lorsque la filiation est établie simultanément, les parents choisissent le nom porté par l'enfant. Lorsque la filiation est établie successivement, l'enfant porte, en premier lieu, le nom du parent qui a établi sa filiation et, éventuellement, cette dévolution sera modifiée au moment de l'établissement du second lien de filiation. Compte tenu de la nouvelle approche du lien de filiation et tenant compte des premières applications de la loi sur la dévolution du nom de famille, l'ordonnance nº2005- 759 du 4 juillet 2005 a adapté les règles juridiques.

Les règles relatives à la dévolution du nom de famille relèvent ainsi de deux textes essentiels : la loi nº2002-304 du 4 mars 2002 modifiée par la loi nº2003-516 du 18 janvier 2003 entrant en vigueur le 1er janvier 2005 et applicable aux enfants nés après cette date. Le second de ces textes est l'ordonnance nº2005-759 du 4 juillet 2005 entrant en vigueur le 1er juillet 2006 et s'appliquant aux enfants nés avant comme après cette date.

5. Les incidences sur la fratrie. Outre ce facteur de complication pour déterminer les règles applicables, il faut, en plus, ne pas occulter les autres membres de sa famille. Le choix du nom de l'enfant posé en termes nouveaux est certes libre mais ne doit pas être anarchique. En ce sens il est toujours possible d'engager une action en justice pour la défense du nom de famille 13 . Plus précisément le législateur s'est intéressé à la fratrie. Cette dénomination désigne d'ailleurs le lien qui unit les frères et soeurs d'une même cellule familiale 14 . Dans cette logique le nom de famille est porteur de l'unité recherchée ; le législateur semble y veiller, ce qui peut être d'autant plus important en cas de sépa- ration 15 . L'exposé des motifs de la proposition de loi en 2002 énonce même le caractère fondamental de cette règle : Page 14 « un autre principe mérite d'être posé, selon lequel les enfants issus du même père et de la même mère portent un nom identique ».

Si les relations fraternelles sont peu déterminées dans la loi civile elles ont une matérialité 16 . Un lien quasi-magique existe entre ces enfants communs et le nom de famille en est le premier ciment. Le législateur ne souhaite donc pas trop de fantaisie qui provoquerait des ruptures même symboliques entre frères et soeurs.

Mais pour déterminer l'unité du nom de famille de la fratrie peut-on se contenter de lire l'article 311- 21 du Code civil selon lequel « le nom précédemment dévolu ou choisi vaut pour les autres enfants communs » ? La succession des différentes lois n'a pas été favorable au maintien d'une véritable cohésion du nom des enfants nés successivement dans une même famille. La délicate application dans le temps des nouvelles dispositions a troublé le principe de l'unité nominale au sein de la fratrie.

6. La mise en évidence d'une distinction fondamentale pour la fratrie. Les premiers temps de la loi nouvelle furent ainsi sources d'incertitude. L'avenir semble plus serein pour les enfants nés depuis le 1er juillet 2006 et pour les fratries à venir.

Pourtant certaines fragilités peuvent être encore révélées et une nouvelle césure s'impose dans le droit de la filiation. Ainsi, quel que soit le dispositif légal applicable, la fratrie dont les liens de filiation sont établis simultanément est mieux protégée que la fratrie dont les liens sont établis successivement. Etayant les propos par l'étude de différents cas pour des enfants nés du couple de Monsieur Dupont et de Madame Durand, il faut envisager la réalité de l'unité du nom de famille dans la fratrie pour les enfants dont les liens de filiation sont établis simultanément (I) puis la fragilité de l'unité du nom de famille pour les enfants dont les liens de filiation sont établis successivement (II).

I La realite de l'unite nominale de la fratrie ayant des filiations etablies simultanement

7. La spécificité des liens de filiation établis simultanément. Avant les dispositions de l'ordonnance nº2005-759 du 4 juillet 2005, le Code civil distinguait encore entre les filiations légitimes et les filiations naturelles. Compte tenu de cette différence, les dispositions applicables au nom de famille étaient éparses, relevant pour les unes de dispositions communes dans le titre consacré à la filiation -anciens articles 311-21 et suivants du Code civil-, pour les autres de dispositions propres à la filiation naturelle -anciens articles 334-1 et suivants du Code civil.

Ces différentes règles n'empêchaient pas la simultanéité de la création du lien de filiation. Ainsi l'enfant issu de parents mariés ensemble bénéficiait d'une filiation légitime établie simultanément par le jeu de la présomption de paternité et de l'acte de naissance. L'enfant issu de parents non mariés ensemble pouvait bénéficier d'une filiation, dite naturelle, établie simultanément. Mais, en ce cas, il fallait que les parents aient une démarche volontaire pour déclarer l'enfant né ou à naître comme le leur. Dans ces deux situations, il s'agit de filiation établie simultanément pour laquelle les parents n'hési- tent pas à créer ensemble le lien de filiation.

8. Les dispositions nouvelles. Pour ces différentes situations la loi du 4 mars 2002 offre un choix de dévolution du nom de famille. Cette nouvelle possibilité est présentée en termes clairs dans l'ancien article 311-21 du Code civil. Elle sera reprise...

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