La réforme de la protection juridique des majeurs (loi nº2007-308 du 5 mars 2007) Première partie : Des principes réaffirmés

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Par Hugues Fulchiron Doyen de la Faculté de droit, Université Jean Moulin Lyon 3 Directeur du Centre de droit de la famille La loi du 3 janvier 1968 était le dernier des grands textes préparés sous l'égide de Jean Carbonnier à ne pas avoir été atteint par la vague de réformes qui, en quelques années, a bouleversé le droit des personnes et de la famille. Il est vrai que les qualités du texte étaient unanimement reconnues 1 . Pourtant, depuis quelques années, une réforme était attendue. Les groupes de travail se sont multiplié, soulignant la nécessité d'une révision en profondeur du cadre juridique et social de la protection des personnes vulnérables : Rapport sur le fonctionnement du dispositif de protection des majeurs, présenté conjointement par les Inspections générales des Finances, des Services judiciaires et des Affaires sociales, en 1998, Rapport sur le dispositif de protection des majeurs , dit « Rapport Favart », en 2000, Rapport de la Cour des comptes, La vie avec un handicap, 2003 2 . Les commissions de réforme ont succédé aux groupes de travail 3 . Après bien des incertitudes, un projet a été soumis au Parlement. La décla- ration d'urgence a permis d'accélérer les débats et d'obtenir avant la fin de la législature, le vote définitif de la loi 4 . Déféré au Conseil constitutionnel 5 , le texte a été délesté de quelques « cavaliers législatifs » introduits par le Gouvernement 6 . Il est devenu la loi nº2007-308 du 5 mars 2007 7 .

En fait, la principale difficulté venait moins des dispositions prévues, qui faisaient l'objet d'un large consensus, que des modalités de leur financement. La réforme s'accompagne en effet d'un transfert de charge au profit, si l'on ose dire, des collectivités locales, des caisses d'allocations familiales et des établissements. Un compromis a finalement été trouvé, mais il faudra du temps pour le mettre en oeuvre. La réforme n'entrera en vigueur, pour l'essentiel, qu'au 1er janvier 2009 8 . Il est vrai que deux années ne seront pas de trop pour préparer les différents décrets d'application : liste des actes de disposition (art. 496), modèle de mandat de protection future sous seing privé (art. 492), statut des mandataires judiciaires à la protection des majeurs (art. 451 c. civ., art. L. 471-3 et 4, L. 472-4, 5 et 6 CASF), décret d'application des nouvelles mesures d'accompagnement judiciaire (MAJ, art. 495-4 c. civ., art. L. 271-2 CASF) et d'accompagnement social personnalisé (MASP, art. L. 271-3 et 8 CASF), décret sur le financement des mesures non familiales (art. L. 361-3 CASF) etc, sans parler des arrêtés et des indispensables circulaires.

De nombreux arguments étaient présentés au soutien d'une réforme. Les plus saisissants sont liés à l'augmentation du nombre de mesures de protection. En 2004, 630 000 personnes étaient placées sous un régime de protection et 67 000 faisaient l'objet d'une mesure de tutelle aux prestations sociales : la protection des majeurs concernerait ainsi 1,3% de la population française majeure et selon les prévisions de la Chancellerie, Page 5 1 126 000 personnes seraient placées sous protection en 2010 si l'augmentation se poursuivait au rythme actuel 9 : 92,1% d'augmentation du nombre de demandes d'ouverture, 56,8% d'augmentation du nombre des jugements, de 1990 à 2004.

Cette explosion des chiffres s'explique en partie par le vieillissement de la population et la prolongation de la durée de la vie humaine : des mesures de protections sont de plus en plus souvent nécessaires pour accompagner la personne dans les dernières années de sa vie. De mesures d'exception, pour quelques cas pathologiques, les mesures de protection vont devenir, dans les années à venir, un mode habituel d'accompagnement juridique de la personne âgée. De ce point de vue, il était indispensable de modifier les textes pour assouplir le système, alléger la protection et, surtout, permettre à la personne d'anticiper pour le temps où elle aura besoin d'assistance.

Pour autant, les personnes âgées ne constituent pas la majorité des personnes concernées par une mesure de protection. Seulement 32,3% des personnes qui en bénéficiaient en 2002 avaient plus de 75 ans ; la majorité avait moins de 59 ans. De fait il existe une seconde cause à l'augmentation du nombre des mesures : ce que d'aucuns ont appelé « la dérive des systèmes de protection 10 ». Face à la paupérisation d'une partie de la population (et en raison sans doute de la multiplication des modes d'accompagnement social de la précarité), les mesures de protection juridique ont été peu à peu utilisées non pas à fin de protection juridique, mais à fin d'accompagnement social. Comme le soulignaient différents rapports, on observe une multiplication des saisines d'office, sous la pression de signalements difficiles à filtrer émanant de travailleurs sociaux, de caisses d'allocations familiales, de bailleurs sociaux etc. La mesure de protection juridique (cf. notamment l'augmentation de 136,2% du nombre des curatelles en quinze ans) devient le support technique d'une mesure d'assistance sociale, et de son financement. On est loin des principes de nécessité et de proportionnalité prônés par le législateur de 1968. Or l'inflation des mesures de protection pose crûment la question de leur financement, d'autant que le système de financement des mesures, ne faisait, a-t-on dit, que favoriser leur nombre 11 .

Pour assurer une meilleure protection des personnes, notamment des personnes âgées, et, somme toute, pour éviter la faillite financière du système, une réforme s'imposait. Elle touche non seulement les majeurs, mais aussi, par ricochet, les mineurs 12 . Elle bouleverse le code civil, pour la protection judiciaire, et le Code des familles et de l'aide sociale, pour les mesures d'accompagnement social. De nouvelles mesures sont créées (mesures d'accompagnement judiciaire et mesure d'accompagnement social personnalisé), de nouvelles catégories de professionnels apparaissent (les mandataires judiciaires à la protection des majeurs), le financement des mesures est radicalement modifié. Les distinctions entre mesures de protection juridiques et mesures d'accompagnement social sont renforcées.

En ce qui concerne la protection juridique des majeurs, seul objet de cette étude, les changements sont considérables, sur la forme comme sur le fond.

Sur la forme, le plan du code civil est profondément remanié. Il est vrai que le plan antérieur, avec ses renvois des majeurs aux mineurs et ses dispositions spéciales, constituait un véritable maquis. Désormais, le titre XI De la majorité et des majeurs protégés par la loi, est divisé en trois chapitres : Des dispositions générales (art. 414 à 442), Des mesures de protection juridique des majeurs (dispositions générales, dispositions communes aux mesures judiciaires, sauvegarde de justice, tutelle et curatelle, mandat de protection future) et De la mesure d'accompagnement judiciaire . Le titre XII expose les règles communes à la gestion du patrimoine des mineurs et des majeurs en tutelle (modalités de gestion, établissement, vérification et approbation des comptes, prescription). L'ensemble est infiniment plus clair et cohérent, malgré quelques scories 13 . Cet effort de « lisibilité » porte également sur un point particulièrement obscur pour les non initiés : celui des actes du tuteur. Désormais rassemblés au titre XII, pour les majeurs comme pour les mineurs, ils sont divisés de façon assez académique en trois catégories : les actes que le tuteur accomplit sans autorisation (art. 503 s.), les actes que le tuteur accomplit avec une autorisation (art. 505 à 508), les actes que le tuteur ne peut accomplir (art. 509). Le style et le vocabulaire ont été simplifiés. Quelques expressions antiques et vénérables ont fait les frais de ce toilettage, notamment la notion, si parlante et si mystérieuse à la fois, et en tout cas si familière, de « bon père de famille » : désormais (art. 496), le tuteur est tenu d'apporter dans la gestion du patrimoine de son pupille « des soins prudents, diligents et avisés, dans le seul intérêt de la personne » . La formule paraît bien pauvre, et ne lève pas vraiment le mystère. Le même souci de clarté (et de prévisibilité) a conduit le législateur à donner des éléments de définition et, surtout, à prévoir une liste des actes qui doivent être « regardés comme des actes d'administration relatifs à la gestion courante du patrimoine » et ceux qui doivent être regardés Page 6 « comme des actes de disposition qui engagent celui-ci de manière durable et substantielle » (art. 496). Cette liste sera fixée par décret en Conseil d'Etat. Le principe d'une liste, dont le contenu n'épuisera jamais la réalité, est contestable. Sans doute rassurera-t-il les praticiens, mais il risque d'engendrer un contentieux d'interprétation (a contrario) qu'évite la souplesse des règles actuelles.

Sur le fond, la réforme s'inscrit dans la ligne de la grande loi de 1968 dont elle reprend l'esprit. Par dessus tout, le législateur a souhaité mettre la personne au centre de sa protection 14 . Tel était l'un des grands principes de la loi de 1968 15 ; et le législateur, depuis quelques années n'a eu de cesse de rendre sa place au mineur ou au majeur protégé dans le système de protection . Cette préoccupation rejoint un souci plus contemporain : donner plus de liberté à la personne pour organiser et surtout anticiper le régime de protection qui, un jour, pourrait devenir nécessaire. Mandat de protection future, choix, à l'avance, d'un tuteur ou d'un curateur, sont autant de sages mesures que toute personne peut être amenée à prendre en...

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