Le droit fiscal applicable aux contrats d'exploitation des droits de brevets d'invention

AuteurJean-Luc Pierre
Occupation de l'auteurAvocat associé, Landwell & Associés, professeur associé à la faculté de droit de l'université Jean-Moulin -Lyon III
Pages43-52

Page 43

Le droit fiscal français se caractérise par des dispositions dérogatoires au droit commun en ce qui concerne le régime d'imposition directe applicable aux licences de brevets d'invention. Si de telles spécificités n'existaient pas, les sommes versées par l'entreprise concessionnaire seraient normalement des charges déductibles de son résultat imposable, et les sommes perçues par le concédant seraient taxables pour celui-ci comme des produits ordinaires d'exploitation. Or, comme on le verra ci-dessous, et contrairement à ce que l'on observe dans d'autres systèmes fiscaux de pays industrialisés, tel n'est, loin de là, pas toujours le cas. Les spécificités applicables s'expliquent, en ce qui concerne l'imposition du concédant, par la volonté des pouvoirs publics de favoriser le commerce de technologie et, pour le traitement à suivre par le concessionnaire, par une construction prétorienne du juge de l'impôt.

En revanche, il n'existe pas, au regard de la TVA, de dispositions propres aux licences de brevets : celles-ci sont des prestations de services effectuées à titre onéreux, entrant dans le champ d'application de cette taxe, en application des articles 256-I, premier alinéa, ainsi que 256 A, premier et cinquième alinéas, du Code général des impôts.

La présentation ci-dessous sera divisée en deux parties, relatives l'une aux règles de fiscalité directe concernant les concédants de brevets d'invention, personnes physiques ou sociétés, l'autre aux dispositions applicables aux concessionnaires de ces mêmes droits.

1 -Règles de fiscalité directe concernant les concédants de brevets d'invention

Le principe de l'existence de règles de taxation favorables pour les personnes qui concèdent des licences de brevets fête cette année son quarantième anniversaire. En effet, la loi du 12 juillet 1965 modifiant l'im- position des entreprises et des revenus de capitaux mobiliers65 avait introduit le principe de la taxation au taux réduit des plus-values à long terme, au lieu du taux de droit commun, des produits de licences exclusives de brevets, ainsi que de licences simples des mêmes droits lorsque le titulaire de ceux-ci se dessaisissait pour un secteur géographique déterminé ou pour une application particulière. Ce dispositif dérogatoire d'imposition, qui résultait d'un amendement déposé par le sénateur André Armengaud, modifié au cours de la discussion du projet de loi au parlement, avait des effets particulièrement importants, puisqu'il permettait que certains transferts de brevets par des entreprises pas- Page 44sibles de l'impôt sur les sociétés fussent imposés à un taux de 10 %, se substituant au taux ordinaire de 50 %.

Le cadre des règles applicables a, au cours des années suivantes, fait l'objet de différentes évolutions, certaines défavorables aux contribuables, les autres -ce sont les plus nombreuses -favorables à ceux-ci. L'objet de cet exposé n'est pas de présenter ces évolutions de manière exhaustive. On se limitera à l'analyse des principaux changements décidés par le législateur66 :

-la loi du 29 décembre 197167 a exclu du régime d'imposition des plus-values à long terme les licences de brevets en présence de liens de dépendance entre le concédant et le concessionnaire, si ce dernier est une entreprise exploitée en France;

-la loi du 19 juillet 1976 sur l'imposition des plus-values des particuliers68 a étendu aux inventeurs indépendants le régime d'imposition des produits de licence d'inventions applicable jusqu'alors exclusivement aux entreprises;

-la loi de finances pour 198469 a supprimé d'une part la condition d'exclusivité, d'autre part la condition alternative relative au dessaisissement pour un secteur géographique déterminé ou pour une application particulière;

-la finalité des dispositions figurant dans la loi précitée du 29 décembre 1971 était d'écarter tout avantage fiscal à effectuer une licence de brevet, entre parties liées et imposables en France. Aucune exclusion du régime des plus-values à long terme ne s'appliquait en revanche pour le concédant lorsque l'entreprise concessionnaire n'était pas passible de l'impôt sur les sociétés. Il existait ainsi, au sein des groupes de sociétés, un avantage fiscal à procéder à une licence de technologie par une société française à une société étrangère. Les autorités communautaires se sont préoccupées de l'existence d'un tel avantage fiscal : ainsi, le rapport du groupe Code de conduite, portant sur la fiscalité des entreprises 70 et soumis au Conseil Ecofin du 29 novembre 1999, a mentionné le régime d'imposition des " redevances-brevets", caractérisé par un taux réduit de taxation pour celles desdites redevances n'ayant pas Page 45 leur origine en France, comme l'un des 66 dispositifs entraînant une concurrence fiscale dommageable au sein de l'Union européenne. Nonobstant l'absence de décision contraignante de démantèlement de ces dispositifs par les États membres, le Conseil Ecofin précité a fixé comme objectif la disparition de ceux-ci au plus tard le 1er janvier 2003. Soucieux d'adapter le régime fiscal des produits de licence d'invention intra-groupe dans le cadre des engagements pris au travers du Code de conduite communautaire, le gouvernement a soumis au parlement, et obtenu de celui-ci, dans le cadre de la loi du 28 décembre 200171, l'aménagement de ce régime, pour arriver à une limitation de la déduction des sommes versées par l'entreprise concessionnaire, lorsque cette dernière est imposable en France, et à la généralisation du taux réduit d'imposition pour les entreprises concédantes établies en France. Il demeure ainsi intéressant pour un groupe d'entreprises d'utiliser en France une société titulaire de brevets, qui en concède l'exploitation à des sociétés apparentées établies à l'étranger;

-enfin, le Parlement a, dans le cadre de la loi de finances rectificative de décembre 200472, d'une part ramené de 19 % à 15 %, pour les exercices d'entreprises soumises à l'impôt sur les sociétés ouverts à compter du 1er janvier 2005, le taux d'imposition applicable à la plu- part des licences de brevets, d'autre part supprimé pour ces mêmes entreprises, à compter du 1er janvier 2004, l'obligation de dotation d'une réserve spéciale de plus-values à long terme. On rappellera à cet égard que jusqu'en 2003 le bénéfice du taux réduit d'imposition était subordonné, pour les personnes morales passibles de l'impôt sur les sociétés, à la dotation d'une réserve spéciale, égale aux sommes taxables nettes de l'impôt correspondant, et que la distribution éventuelle de cette réserve entraînait une taxation complémentaire faisant perdre le bénéfice du taux réduit d'imposition.

À l'heure actuelle, la personne physique ou morale qui concède une licence de brevet est imposée de la façon suivante :

-elle bénéfice de l'imposition selon le régime des plus-values à long terme dans la quasi-totalité des situations : les seules exceptions à l'application de celui-ci se rencontrent lorsque le brevet n'a pas le caractère d'élément de l'actif immobilisé, ou s'il a été acquis à titre onéreux...

Pour continuer la lecture

SOLLICITEZ VOTRE ESSAI

VLEX uses login cookies to provide you with a better browsing experience. If you click on 'Accept' or continue browsing this site we consider that you accept our cookie policy. ACCEPT