Evaluation de la mise en œuvre du plan d'action national contre la traite des êtres humains (2019-2021)

JurisdictionFrance
Publication au Gazette officielJORF n°0017 du 20 janvier 2023
Record NumberJORFTEXT000047011945
CourtCOMMISSION NATIONALE CONSULTATIVE DES DROITS DE L'HOMME
Date de publication20 janvier 2023

Assemblée plénière du 12 janvier 2023
Adopté à l'unanimité

Un deuxième plan national d'action contre la traite des êtres humains (2019-2021) a été mis en œuvre sous la coordination de la mission interministérielle pour la protection des femmes contre les violences et la lutte contre la traite des êtres humains (Miprof) (1). Ce deuxième plan faisait suite, après trois années sans nouvelle planification, au premier plan national d'action (2014-2016) évalué par la Commission nationale consultative des droits de l'homme (CNCDH) (2). La Commission avait alors conclu à la faible consistance de ce premier plan notamment en matière d'identification, de protection et d'accompagnement des victimes mais également de poursuite des auteurs de traite des êtres humains. De fait, nombre de mesures prévues dans le premier plan furent reportées dans le deuxième plan national d'action.
Le deuxième plan national d'action (2019-2021) fait l'objet de la présente évaluation par la CNCDH en sa qualité de rapporteur national indépendant sur la lutte contre la traite des êtres humains (3). Force est de constater que les principales faiblesses du premier plan subsistent dans le deuxième dont l'orientation demeure focalisée sur la lutte contre la traite à des fins d'exploitation sexuelle malgré un léger élargissement du champ d'action. La CNCDH réaffirme donc sa recommandation d'élargir encore le champ d'intervention à toutes les formes de traite et d'exploitation des êtres humains, à l'égard des garçons et des hommes également, et dans d'autres zones que Paris ou l'Ile-de-France. La CNCDH accueille avec enthousiasme l'octroi à la France du statut de pays pionnier dans la lutte contre la traite, essentiellement par le travail, dans le cadre de l'alliance 8.7 (4). Par ailleurs, la France doit respecter les engagements résultant de la convention des Nations unies contre la criminalité organisée (protocole dit de Palerme, 2000) et par la Convention internationale des droits de l'enfant (ONU, 1989) et ses protocoles additionnels, par les conventions de l'Organisation internationale du travail (OIT) n° 29 sur le travail forcé (1930) et son protocole additionnel (2014) et n° 105 sur l'abolition du travail forcé (1957), par la Convention de Varsovie du Conseil de l'Europe (2005) ainsi que par la directive 2011/36/UE de l'Union européenne (UE) (5).
Cependant, la CNCDH recommande vivement la transformation de la Miprof en une délégation interministérielle spécifiquement dédiée à toutes les formes de traite et d'esclavage moderne placée sous l'autorité de la Première ministre. Il s'agirait d'éviter tout risque de cloisonnement entre d'une part la lutte contre la traite à des fins d'exploitation sexuelle et contre les violences faites aux femmes coordonnée par la Miprof, et d'autre part, celle contre la traite à des fins d'exploitation par le travail par la représentation permanente française à l'OIT.
La CNCDH constate également qu'à l'issue du deuxième plan national d'action, il n'existe toujours pas de mécanisme national d'identification et d'orientation des victimes (MNIO). L'annonce d'une circulaire en lieu et place d'un MNIO n'est ni à la hauteur des recommandations des instances internationales (ONU, OSCE, Conseil de l'Europe, Union européenne), ni en adéquation avec les besoins réels des acteurs de terrain (agents de l'Etat, associations spécialisées). Un mécanisme requiert une ligne budgétaire spécifique, conséquente et permanente, un portage politique fort (6), une équipe coordinatrice (7) dédiée à l'échelon national avec des relais spécialisés dans la traite aux niveaux régional et local (8), et une véritable politique de formation initiale et continue.
La traite des êtres humains constitue une atteinte majeure aux droits fondamentaux et au respect de la dignité humaine, elle cible en particulier les personnes les plus vulnérables (personnes migrantes, personnes en situation de précarité sociale, personnes en situation de handicap, mineurs isolés). L'ineffectivité d'une partie des mesures du deuxième plan, l'absence de publication d'un troisième plan, l'absence de nomination d'un ou d'une secrétaire général(e) dans la continuité d'une cessation de fonction et le retard conséquent pris dans la mise en place d'un véritable mécanisme national d'identification et d'orientation des victimes permettent de mettre en doute la prise de conscience avancée par les pouvoirs publics dans les discours officiels devant les instances internationales.
Huit ans après le début du premier plan, la CNCDH se doit de rappeler certains éléments qui lui semblent fondamentaux :

- un rattachement de la coordination nationale s'impose auprès du Premier ministre ;
- un véritable mécanisme national d'identification et d'orientation des victimes est indispensable et prioritaire ;
- une protection adaptée doit être fournie aux victimes de traite des êtres humains pour faciliter la collaboration et permettre la reconstruction physique et psychique ;
- une régularisation administrative du séjour avec autorisation de travail doit être déconnectée de la participation des victimes à la procédure ;
- l'ouverture conséquente de places d'hébergement pour permettre une mise à l'abri d'urgence, l'éloignement des réseaux d'exploitation, et des abris pérennes le temps de la procédure judiciaire sont urgents ;
- la mise à disposition de ressources humaines permettant de fournir un accompagnement médico-psychologique aux victimes doit être un élément du mécanisme national d'identification et d'orientation des victimes.

La présente évaluation du deuxième plan national d'action, qui se veut la plus synthétique possible, n'entre donc pas nécessairement dans le détail de la mise en œuvre des mesures. Elle évalue toutefois, mesure par mesure (9), l'effectivité de leur mise en œuvre et propose, le cas échéant, des recommandations en vue de l'élaboration du troisième plan national d'action contre la traite des êtres humains. Il est spécifié pour chaque mesure si la Commission considère que l'objectif a été réalisé, partiellement réalisé, ou non réalisé. Certaines mesures se recoupant, notamment celles relevant de la communication (sensibilisation, campagne d'information, site internet…), il n'a pas été jugé opportun de les présenter séparément au risque de répéter inutilement des constats similaires. Par ailleurs, certaines mesures du deuxième plan étaient déjà présentes dans le premier plan tandis que d'autres intègrent également d'autres plans nationaux traitant, par exemple, du travail dissimulé, du logement, des violences faites aux enfants ou des vulnérabilités des personnes migrantes. Les mesures du deuxième plan national d'action sont donc rarement inédites, novatrices et spécifiques à la traite des êtres humains.
Enfin, si les associations spécialisées ont été conviées à des groupes de travail en vue de l'élaboration d'un mécanisme national d'identification et d'orientation des victimes, ou pour dresser le bilan du deuxième plan national d'action, elles n'ont pas été conviées à l'élaboration du troisième plan national d'action qui n'est que le fruit d'une concertation interministérielle. La date de parution de ce plan demeure inconnue : la CNCDH recommande que les associations spécialisées et la CNCDH soient consultées avant toute adoption définitive.

AXE 1 : INFORMER ET COMMUNIQUER POUR MIEUX PRÉVENIR LE PHÉNOMÈNE DE LA TRAITE DES ÊTRES HUMAINS

ACTION N° 1 : MOBILISER LA SOCIÉTÉ
Mesure 1 : Informer et sensibiliser sur les risques d'exploitation [Partiellement réalisée]
Cette mesure prévoyait le lancement en ligne d'une campagne gouvernementale d'information sur la traite et ses différentes formes d'exploitation. La réalisation, en février 2022, d'une campagne gouvernementale de sensibilisation sur les dangers de la prostitution des mineurs, incluant l'exploitation sexuelle, ne suffit pas pour considérer que cette mesure ait été mise en œuvre. En effet, la traite ne se résume pas à l'exploitation sexuelle.
Plus généralement, la CNCDH constate qu'il n'y a pas eu de campagne de sensibilisation à l'échelle nationale depuis la création de la Miprof à l'exception de cette mention de la traite à des fins d'exploitation sexuelle dans une campagne de prévention de l'achat d'actes sexuels. La thématique a été seulement abordée par les médias, en 2022, dans le contexte de la guerre en Ukraine, avec l'évocation de l'implication des associations auprès des réfugiés, et dans le cadre de poursuites judiciaires à l'encontre de sites pornographiques. Pourtant, donner la priorité à l'information et à la sensibilisation dans ce deuxième plan, à destination non seulement du grand public mais également des administrations et des agents qui confondent traite et prostitution sans prendre en compte l'ensemble des formes de la traite, était très encourageant. Force est de constater que la confusion demeure. Dans son évaluation critique de la France, le groupe d'experts et d'action contre la traite des êtres humains du Conseil de l'Europe (GRETA) relève un besoin urgent d'une campagne nationale d'envergure afin d'encourager les signalements des cas de traite et recommande d'intensifier les efforts pour sensibiliser le grand public à toutes les formes de traite des êtres humains.
La CNCDH recommande donc instamment la mise en œuvre effective et immédiate de cette mesure dans le troisième plan national d'action (3e PNA) via une dotation budgétaire spécifiquement dédiée. Toutefois, l'objectif " d'informer et de sensibiliser ", bien que louable, demeure flou. La Commission recommande la rédaction, dans le troisième plan national d'action, d'une liste précise des cibles visées et des acteurs experts de la traite à solliciter en amont de chaque campagne de sensibilisation. La CNCDH suggère également de multiplier les supports médiatiques en intégrant les nouveaux médias numériques et en associant des influenceurs. Il importe certes d'informer les clients d'achats d'actes sexuels, mais au-delà de s'adresser...

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