Cour de cassation, civile, Chambre commerciale, 12 janvier 2022, 20-11.139, Publié au bulletin

Presiding JudgeMme Mouillard
ECLIECLI:FR:CCASS:2022:CO00023
Case OutcomeCassation
Docket Number20-11139
CitationSur l'existence d'un lien de subordination entre un travailleur et une société utilisant une plateforme numérique, à rapprocher : Soc., 4 mars 2020, pourvoi n° 19-13.316, Bull., (rejet), et les arrêts cités.
Appeal Number42200023
Date12 janvier 2022
CounselSCP Thouvenin,Coudray et Grévy,SCP Buk Lament-Robillot
CourtChambre Commerciale, Financière et Économique (Cour de Cassation de France)
Subject MatterCONTRAT DE TRAVAIL, FORMATION - Définition - Lien de subordination - Applications diverses - Création d'un lien de subordination juridique permanent - Effets - Fourniture de prestations à un donneur d'ordre - Cas
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l'arrêt suivant :

COMM.

FB



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 12 janvier 2022




Cassation


Mme MOUILLARD, président



Arrêt n° 23 FS-B

Pourvoi n° W 20-11.139




R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 12 JANVIER 2022

La société Viacab, société à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 1], a formé le pourvoi n° W 20-11.139 contre l'arrêt rendu le 4 novembre 2019 par la cour d'appel de Paris (pôle 5 - chambre 10), dans le litige l'opposant à la société Transopco France, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 2], venant aux droits de la société Transcovo, défenderesse à la cassation.

La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Fontaine, conseiller, les observations de la SCP Thouvenin, Coudray et Grévy, avocat de la société Viacab, de la SCP Buk Lament-Robillot, avocat de la société Transopco France, et l'avis de Mme Guinamant, avocat général référendaire, après débats en l'audience publique du 16 novembre 2021 où étaient présents Mme Mouillard, président, Mme Fontaine, conseiller rapporteur, M. Rémery, conseiller doyen, Mmes Vallansan, Vaissette, Bélaval, M. Riffaud, Mmes Boisselet, Guillou, conseillers, Mmes Barbot, Brahic-Lambrey, Kass-Danno, conseillers référendaires, Mme Guinamant, avocat général référendaire, et Mme Mamou, greffier de chambre,

la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 4 novembre 2019) et les productions, la société Viacab, gestionnaire d'une centrale de réservation de taxis en région parisienne, a aussi, de juin 2011 à juin 2017, exploité une activité de voitures de transport avec chauffeur (VTC). Elle proposait la réservation de ses VTC par le biais de sites internet et, à compter du 5 mars 2012, également via une application pour téléphone de dernière génération (smartphone).

2. La société Transopco France (la société Transopco), venant aux droits de la société Transcovo, exploite une plate-forme de mise en relation d'exploitants de VTC avec des clients au moyen d'une application pour smartphone.

3. Estimant que la société Transopco, en ne respectant pas diverses lois et réglementations en matière de droit des transports et de droit du travail, commettait des actes constitutifs de concurrence déloyale à son égard, la société Viacab l'a assignée aux fins de cessation de ces pratiques et d'indemnisation de son préjudice.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en ses première, deuxième, cinquième et sixième branches, ci-après annexé

4. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Mais sur le moyen, pris en ses troisième et quatrième branches
Enoncé du moyen

5. La société Viacab fait grief à l'arrêt confirmatif de rejeter ses demandes, alors :

« 3°/ que le lien de subordination est caractérisé par l'exécution d'un travail sous l'autorité d'un employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d'en contrôler l'exécution et de sanctionner les manquements de son subordonné ; que pour écarter en l'espèce la qualification de contrat de travail, la cour d'appel relève que "la société Transopco ne recrute ni ne choisit les chauffeurs", que "le chauffeur est libre de se connecter ou non à l'application", qu' "il a la faculté d'accepter ou non les réservations des clients", que "la société n'impose ni les zones d'activité, ni les quantités d'heures", que "le partenaire est libre d'organiser son itinéraire", qu' "il peut proposer ses propres services ou travailler pour d'autres plateformes", que "le statut de partenaire est reconnu par loi" et que "la facturation, selon les modalités fixées par la société Transopco, contractuellement prévue dans le contrat, est autorisée par la loi" ; qu'en statuant ainsi, par des motifs inopérants, alors qu'il n'est pas contesté, d'une part, que les chauffeurs sont soumis à un système de géolocalisation permettant le suivi en temps réel par Transopco de leur position, d'autre part, que cette société dispose d'un pouvoir de sanction à l'égard de ces derniers pouvant aller jusqu'à leur exclusion du réseau, ce dont il résulte l'existence d'un pouvoir de direction et de contrôle de l'exécution de la prestation caractérisant un lien de subordination, la cour d'appel a violé les articles L. 1221-1 et L. 8221-6 du code du travail, ensemble l'article 1382, devenu 1240, du code civil ;

4°/ à tout le moins, qu'en statuant ainsi, sans analyser les contraintes qui s'imposent aux chauffeurs, ni s'expliquer sur le niveau d'influence et de contrôle qu'exerce la plate-forme sur les conditions d'exercice de la prestation, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 1221-1 et L. 8221-6 du code du travail, ensemble l'article 1382, devenu 1240, du code civil. »

Réponse de la Cour

Vu les articles 1382, devenu 1240, du code civil, et L. 8221-6 du code du travail :

6. Aux termes du premier de ces textes, tout fait quelconque de l'homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer.

7. Et il résulte du second de ces textes que, si dans l'exécution de leur activité donnant lieu à immatriculation sur des registres ou répertoires professionnels, les personnes physiques sont présumées ne pas être liées avec le donneur d'ordre par un contrat de travail, celui-ci peut, toutefois, être établi lorsque ces personnes fournissent des prestations dans des conditions qui les placent dans un lien de subordination juridique permanente à l'égard du donneur d'ordre. En conséquence, l'existence d'une relation de travail ne dépend ni de la volonté exprimée par les parties ni de la dénomination qu'elles ont donnée à leur convention mais des conditions de fait dans lesquelles est exercée l'activité des travailleurs.

8. Pour rejeter les demandes de la société Viacab, l'arrêt se borne à retenir, par motifs propres et adoptés, que la société Transopco ne rémunère pas les chauffeurs, mais conserve une commission de 20 % sur le montant du prix qu'elle facture au client, au nom et pour le compte du prestataire, en application d'un mandat de facturation, que la société Transopco ne choisit pas les chauffeurs nécessaires au fonctionnement de son entreprise et n'impose ni les zones d'activité ni les quantités d'heures, que les chauffeurs sont libres de se connecter ou non à l'application, d'accepter ou non les demandes de réservation des clients et d'organiser leur itinéraire, et qu'ils peuvent proposer leurs propres services ou travailler pour d'autres plateformes. Il en déduit que « ce faisceau d'éléments ne démontre pas l'existence de liens dissimulés de subordination ».

9. En se déterminant ainsi, sans analyser concrètement les conditions effectives dans lesquelles les chauffeurs exerçaient leur activité, la société Viacab faisant valoir à cet égard qu'il était interdit aux chauffeurs d'entrer en relation avec les clients obtenus par l'intermédiaire de l'application en dehors du temps de la course, qu'ils étaient géolocalisés en permanence dans leur véhicule, dans lequel ils étaient tenus de se trouver pour être mis en relation, que la procédure à suivre pour la réalisation d'une course correspondait à un véritable « ordre de course », les chauffeurs ne pouvant décider librement des conditions de réalisation de la prestation, que l'attribution des courses était faite par un programme informatique de sorte que les chauffeurs, dans la majorité des cas, ignoraient la destination des clients avant que ceux-ci ne soient montés à bord du véhicule et, de toute façon, ne pouvaient décider ou contrôler ni la durée de la course ni, finalement, leurs horaires de début et de fin de travail, qu'ils étaient soumis à un chiffre minimum de courses à réaliser, condition d'un bonus les empêchant de rechercher leur propre clientèle, et qu'ils étaient soumis à un système de sanctions rigoureux excédant ce qui est classique en matière de contrat de prestation de service, ce dont la société Viacab déduisait que le service en cause ne se limitait pas à la mise en relation informatique mais constituait un service global de transport absorbant toute liberté d'exploitation des partenaires, ainsi soumis à un lien de subordination, la cour d'appel a privé sa décision de base légale.

Sur le moyen, pris en sa septième branche

Enoncé du moyen

10. La société Viacab fait le même grief à l'arrêt, alors « que les dispositions des articles L. 3120-2, II, et L. 3122-9 du code des transports interdisent à tous transporteurs autres que les taxis, la maraude sur la voie publique et le démarchage de clients sans réservation préalable ; qu'en l'espèce, il est constant que l'application permet aux chauffeurs de visualiser sur une carte, en temps réel, les...

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