Les contrats d'exploitation des droits de brevets d'invention sous l'emprise du droit communautaire

AuteurMichel Vivant
Occupation de l'auteurProfesseur à l'université de Montpellier I, directeur du centre de recherche " Créations immatérielles et droit " (ERCIM)
Pages109-130

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Un heurt ?

Droit communautaire - droit des brevets et, plus largement, de la propriété industrielle, voire de la propriété intellectuelle : la contradiction paraît radicale, la confrontation violente et il n'est nul besoin d'un Monstre du Berlaimont tapi dans l'ombre pour y conduire.

La nature de l'un et de l'autre suffit, du moins en premiére apparence, à ce qu'il en soit ainsi.

L'Union européenne se veut libérale, et du libéralisme le plus affirmé, et sans frontiére, nos droits de propriété intellectuelle constituent des monopoles et, qui plus est, des monopoles territoriaux.

À mieux considérer les choses pourtant, à égale distance d'un modéle d'économie dirigée et de l'hyperlibéralisme, le droit communautaire comme le droit de la propriété intellectuelle - et donc le droit des brevets dont je parlerai seul désormais - ont une finalité semblable qui est d'organiser le marché :

- encourager l'innovation, " récompenser " l'innovateur (le mot est de la Cour de justice même s'il ne plaît guére aux spécialistes), favoriser la recherche-développement pour le brevet;

- éviter les rentes de situation mais aussi en termes plus positifs favoriser le progrés technique (notons-le...), développer les échanges pour le droit communautaire.

Et participer donc l'un et l'autre au développement économique et ainsi, pour reprendre le vocabulaire du Grand Siécle, contribuer à la richesse des nations.

Une rencontre

C'est donc plutôt d'une rencontre qu'il faut parler, même si le droit de brevet n'est pas sorti intact de cette rencontre, à commencer par toute la jurisprudence sur l'épuisement du droit.

Épuisement du droit : l'observation conduit à ne pas se cantonner à ce qui semblerait de prime abord le plus directement lié au sujet qui est le nôtre, à savoir l'examen du réglement n° 772/2004 du 27 avril 2004 " concernant l'application de l'article 81, paragraphe 3, du traité à des catégories d'accords de transfert de technologie ", venu se substituer au réglement n° 240/96 du 31 janvier 1996, puisque entré en vigueur le 1er mai 2004.

En effet, ce réglement est doublement limité : il ne concerne que la mise en oeuvre de l'article 81 TCE; il ne concerne que certains accords au premier rang desquels les contrats de licence147.

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Or, le droit communautaire ne se raméne pas au seul article 81 ! Et, s'il nous faut envisager les " contrats d'exploitation " des droits de brevets d'invention, il faut aussi songer à des formules plus inhabituelles telles que les accords de non-opposition ou, par exemple encore, bien au-delà de la licence ou bien quand celle-ci bascule vers le joint venture, les accords de partenariat.

Et puis aussi - on l'oublie ou on le néglige trop souvent - ce réglement, comme tel, n'est jamais que du droit dérivé soumis à la légalité communautaire, c'est-à-dire qu'il ne saurait prévaloir contre les traités et les principes fondamentaux et que la parole est en dernier recours à la Cour de justice.

C'est bien le droit communautaire qu'il faut examiner dans sa rencontre avec le droit des brevets et plus précisément ici avec les contrats d'exploitation des droits de brevets d'invention.

Aussi un rappel - bref - des grands principes me paraît-il opportun, en suite de quoi il conviendra de voir comment se fait effectivement cette rencontre.

Quelques rappels élémentaires

Quelques rappels élémentaires pour qui, familier avec la recherche, ne l'est pas nécessairement avec le droit et tout particuliérement avec le droit communautaire.

Celui-ci, qui présente de multiples facettes, s'immisce partout. Mais, depuis la signature du Traité de Rome, il est d'usage de parler de " piliers " dont on comprend, au vocable choisi, qu'ils sont les éléments forts de la construction juridique européenne.

Or, deux de ceux-ci intéressent tout particuliérement le droit des brevets, en tant qu'un brevet est un monopole et un monopole territorial : le principe de libre circulation des marchandises et le principe de libre concurrence. Ce dernier s'exprime à travers une double prohibition : celle des ententes148 et celle consistant à exploiter d'une maniére abusive une position dominante149. Mais un point notable est que la logique du traité est de faire de la concurrence un moyen et non une fin. Cela implique que certaines ententes peuvent, aux termes d'un bilan avantages-inconvénients, mené dans les termes de l'article 81 TCE, être jugées " bonnes " et, partant, exemptées de toute condamnation. L'" exemption " (c'est là le terme reçu) peut être accordée " par catégories " (par catégories d'accords) et, en ce cas, un réglement est là pour donner les lignes à suivre dans l'élaboration du futur accord.

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C'est là l'objet du réglement de 2004, précité150. Aux termes de son article 2, il concerne les " accords de transfert de technologie qui sont conclus entre deux entreprises et autorisent la production de produits contractuels " et est plus spécialement centré sur les licences, sans se limiter pour autant à celles-ci151. Il ne s'applique qu'aux accords auxquels deux entreprises sont parties152 et ne joue qu'au-delà de certains " seuils " de parts de marché153. Tout cela n'est pas, dans son principe, vraiment nouveau. En revanche, la construction du réglement l'est profondément. Finie la ventilation tripartite entre clauses " noires " (interdites), " blanches " (permises) et " grises " (soumises à contrôle). L'articulation se fait désormais entre " restrictions caractérisées ", qui privent l'accord projeté d'exemption154, et " restrictions exclues ", qui n'ont pas cet effet mais, pour employer le vocabulaire du droit français, seront réputées non écrites155.

Il faut ajouter - on le constatera par la suite - que la maniére dont ces restrictions sont posées est spécialement... " sinueuse ". La lecture de la régle n'est pas simple. La " rencontre " entre droit communautaire et droit des brevets est marquée du signe de la complexité.

Une rencontre tous azimuts

Le droit communautaire, tel que trés rapidement décrit, comme droit dans son essence économique, droit à facettes multiples, vigoureuse-Page 112ment interventionniste sinon même impérialiste (qu'on ne nous parle pas de subsidiarité !), est donc inévitablement omniprésent dans un droit tout autant économique comme l'est le droit des brevets.

Rencontre tous azimuts (le Président Foyer me pardonnera, je l'espére, cette formule bien gaullienne pour traiter de questions d'intendance). Mais telle est bien la réalité.

Et, si cette rencontre prend diverses formes, il nous faut donc tenter d'en clarifier les termes puisque, si la doctrine peut avoir une vertu, c'est au moins de mettre les choses en forme, à défaut de vouloir toujours les comprendre. Quoiqu'il ne soit pas interdit de tenter de comprendre...

Et peut-être, d'ailleurs, y a-t-il une clef à considérer l'objet du brevet. On peut appréhender le droit communautaire et son emprise en termes de légitimité. Suivant la finalité assignée à la construction européenne (encore qu'on aimerait savoir aujourd'hui ce qu'elle est) ou, du moins, suivant celle assignée au droit communautaire (et ceci est plus aisément discernable, comme nos voisins allemands l'ont perçu depuis longtemps), tel ou tel comportement peut être jugé légitime ou non. Et, comme le droit communautaire, ainsi que je le notais il y a un instant, est assez " intrusif " (ne disons plus impérialiste) pour remodeler le droit des brevets et le droit de brevet lui-même, c'est trés largement à partir de ce que le brevet est réputé permettre que l'on pourra juger de ce qu'un contrat sur brevet peut faire ou ne pas faire en toute légitimité communautaire.

Un brevet et un brevet valable

La premiére observation qui s'impose est qu'on ne peut sérieusement parler de contrats d'exploitation des droits de brevets d'invention... s'il n'y a pas de brevets d'invention en cause.

On jugera peut-être le propos d'un si plat bon sens qu'il en devient assez sot. Et pourtant le droit communautaire, sous deux angles d'attaque, montre bien qu'il n'en est rien.

* D'abord, il a bien fallu compter avec l'inventivité des contractants, imaginant ici comme en d'autres domaines (je pense à certaines manipulations sur les clauses d'indexation), de prolonger l'effet d'un contrat au-delà de sa durée " naturelle ".

C'est ainsi que la Commission, trés tôt, jugea que devaient être interdites les clauses obligeant un licencié à payer des redevances aprés expiration du brevet concédé ou, dans le cas d'un pool de brevets, aprés expiration de l'un d'eux. Dans l'affaire Preflex-Lipski, elle a dit plus précisément qu'une telle clause constituait une restriction interdite au titre de ce qui est aujourd'hui l'article 81 §1 TCE, en ce qu'elle défavorise la position commerciale du débi- Page 113 teur en grevant ses coûts de fabrication par le maintien de charges injustifiées156.

Dans le réglement de 2004, l'article 2 alinéa 3 dispose : "...

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