Le choix d'une protection non spécifique
Auteur | Marie-Catherine Chemtob-Concé |
Occupation de l'auteur | Docteur en droit de l’université Paris II (Panthéon-Assas), maître de conférences des universités UFR de médecine et pharmacie de Rouen université de Rouen |
Pages | 11-18 |
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Le problème qui se pose n'est pas de savoir si les inventions relatives au vivant entrent ou non dans le champ de la protection par un droit de propriété industrielle, mais de savoir si le régime du brevet est le mieux adapté pour appréhender le vivant.
Pour les inventions relatives au vivant, l'alternative est la suivante :
- soit une partie du règne vivant, à savoir notamment le génome humain, pourrait bénéficier d'une protection par le droit d'auteur (Section I) ;
- soit un régime spécifique est établi, distinct de celui du brevet (Section II) ;
- ou encore le régime du brevet est le mieux adapté, mais il doit être modifié pour permettre une brevetabilité efficace des inventions dans le domaine biologique (Section III).
L'idée d'une protection par le droit d'auteur repose sur le concept de l'information génétique. Chaque être vivant (bactéries, végétaux, animaux, humains) transmet à ses descendants certains de ses caractères, eux-mêmes contenus dans un ensemble de gènes qui constituent le programme génétique. Concernant l'être humain, pour fonctionner, ces cellules ont besoin d'être dirigées par un message chimique provenant de l'ADN de ses chromosomes.
Ce message est codé dans l'ADN qui constitue le support du code génétique, l'ADN est en quelque sorte une « bande magnétique » qui porte, en langage codé, tout le patrimoine génétique de l'espèce vivante à laquelle il appartient22.
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Si une faute est commise dans le mécanisme de transmission de l'information génétique, c'est-à-dire si le gène concerné est déficient, cela entraînera une modification de la molécule d'acide nucléique qui pourra être à la base d'une maladie génétique.
Le génome humain peut donc s'analyser en une information génétique, information qui s'adresse au corps tandis que le logiciel s'adresse au matériel informatique. De même que ce dernier, il s'exprime par l'intermédiaire d'un langage. Le chercheur, comme le programmateur pour le logiciel, à partir d'un langage de base, réécrit à sa façon le génome humain.
Ainsi, B. Bergmans a pu parler d'une « écriture de la vie, d'oeuvre génétique ou biologique dont la seule particularité résiderait dans le caractère vivant du produit final »23. De même, pourrait également faire l'objet d'une protection par le droit d'auteur le logiciel qui permet de séquencer et de lire le génome. Lorsqu'un nouvel algorithme a été inventé (par exemple, pour analyser la structure des gènes ou localiser les marqueurs dans les clones et les concrétiser dans un organigramme), il serait susceptible d'être protégé par le droit d'auteur.
Cependant, ce n'est pas cette solution qui a été retenue par les pays industrialisés d'une manière générale24. Les principaux reproches émis à l'égard de cette théorie concernaient son manque de réalisme (comment déterminer l'originalité ?), son caractère trop abstrait (il s'agit certes d'une information mais qui touche au vivant) et son inadéquation (en ce sens que le droit d'auteur obéit à une logique non formelle alors que les séquences font intervenir des processus chimiques pour lesquels le droit des brevets semble plus approprié). Une soumission au droit d'auteur du génome humain aurait abouti à une véritable fiction juridique. D'ailleurs, les limites connues par la protection du logiciel grâce au droit d'auteur sont révélatrices des difficultés qu'aurait pu engendrer l'introduction du gène humain à la matière25.
D'un autre côté, si cette analogie entre information génétique et logiciel fut proposée, c'est justement parce que l'introduction des logiciels dans le droit d'auteur a infléchi certains caractères de cette loi (tel l'aspect personnel et original de l'objet de la protection).
Toutefois, une protection des innovations génétiques par le droit d'auteur semble impossible, le génome humain conservant sa propre spécificité ; celle-ci ne résidant pas dans son contenu informationnel mais dans l'ensemble de sa structure chimique. Ces substances doivent être traitées comme les autres produits chimiques et se voir appliquer le même régime, à savoir le droit des brevets.
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Tant que l'invention relevait de la mécanique ou de la chimie, l'application du droit des brevets apparaissait évidente. Néanmoins, avec le développement des nouvelles techniques (la physicochimie, la biologie), se sont manifestées les carences du droit des brevets, principalement dans le domaine de la matière vivante. L'appréhension de celle-ci par le brevet se trouvait en contradiction avec l'idée selon laquelle la protection par brevet ne concerne que des inventions appartenant à la « nature inanimée »26, c'est-à-dire de nature essentiellement technique et reproductible dont le résultat ne doit en rien dépendre du hasard ou de l'action autonome de la matière vivante.
La discussion quitta ainsi le champ de réflexion classique des experts en matière de brevet, notamment lorsqu'il fut question de vouloir breveter les nouveaux micro-organismes nécessaires pour la fabrication d'un produit final à mettre sur le marché.
La notion de « produit de la nature » est apparue comme susceptible de s'opposer à la brevetabilité de la matière biologique, c'est-à-dire de toute matière contenant une information génétique qui est autoreproductible ou reproductible dans un système biologique.
Face à cette incapacité du droit des brevets à appréhender les nouvelles technologies, le législateur a eu recours à d'autres types de protection et les milieux professionnels commencèrent à promouvoir l'idée d'une protection spécifique pour les variétés végétales.
Si les États-Unis décident de conserver le système du brevet en aménageant un brevet spécial pour certaines innovations végétales grâce au « Plant Patent Act », la nécessité d'une protection spécifique pour les nouvelles variétés de plantes apparaît au niveau international. Celle-ci est discutée pour la première fois au congrès de l'AIPPI27 à Londres en 1932, puis au congrès de Paris en 1950 et de Vienne en 195228.
Progressivement, se dégage l'idée qu'il convient de séparer les « inventions industrielles », des «...
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