Avis sur l'action extérieure de l'Union européenne en matière de droits de l'homme

JurisdictionFrance
Publication au Gazette officielJORF n°0156 du 8 juillet 2014
Date de publication08 juillet 2014
CourtCOMMISSION NATIONALE CONSULTATIVE DES DROITS DE L'HOMME
Record NumberJORFTEXT000029206278


(Assemblée plénière du 26 juin 2014)


1. Au lendemain des élections européennes de mai 2014, l'Union européenne (UE) doit faire face à des défis majeurs. La crise ukrainienne, dans toute sa brutalité, a montré la fragilité du système de sécurité régionale dans une Europe une et libre, fondée sur les principes de la Charte des Nations unies de 1945 et les engagements de la Charte de Paris de 1990 pour une nouvelle Europe. La diplomatie européenne a été en première ligne dès le début de cette crise, qu'elle a abordée avec quelques maladresses et hésitations, avant de réagir avec solidarité au nom de ses valeurs et de ses intérêts. Au même moment, la montée électorale des nationalismes à travers le continent témoigne d'une inquiétude à l'égard d'une Europe trop lointaine et technocratique, qui mène des négociations secrètes sans contrôle démocratique suffisant. Par ailleurs, certains Etats, en prônant une simple zone de libre échange au risque de sacrifier les droits économiques et sociaux, remettent en cause l'indivisibilité et l'universalité des droits de l'homme, alors que la crise économique mondiale multiplie les exclus. C'est en renouant avec ses valeurs fondamentales de liberté, de justice et de solidarité, aux niveaux interne et externe, que l'Union peut connaître un nouvel élan, comme pôle de démocratie et de stabilité, en exerçant un pouvoir d'influence, un « soft power », qui passe par une diplomatie active, volontariste, engagée et cohérente en matière de droits de l'homme.
2. L'UE connaît cette année des échéances importantes, avec l'élection du Parlement européen, la désignation d'une nouvelle Commission européenne ainsi que de son président et de son vice-président/haut représentant pour les affaires étrangères et la politique de sécurité. Ce nouveau départ va de pair avec le renouvellement du mandat du représentant spécial de l'UE pour les droits de l'homme (1) et la réflexion sur un nouveau plan d'action sur les droits de l'homme et la démocratie (2).
3. Après avoir cherché à s'affirmer progressivement comme acteur politique à part entière sur la scène internationale, l'Union est aujourd'hui pleinement engagée sur les plans bilatéral, multilatéral et institutionnel, que ce soit par le biais de son action politique et diplomatique, de ses échanges commerciaux ou encore de ses programmes d'aide humanitaire ou d'aide au développement. La création par le traité de Lisbonne d'un poste de haut représentant pour les affaires étrangères et la politique de sécurité et la mise en place d'un service européen pour l'action extérieure (SEAE) (3) sont venues renforcer cette dimension politique de l'action extérieure de l'Union.
4. Dans ce contexte, la Commission nationale consultative des droits de l'homme (CNCDH) a décidé de se pencher sur un aspect important et souvent méconnu de l'action de l'Union, à savoir sa politique extérieure en matière de droits de l'homme. Cet avis s'inscrit dans la continuité de ses travaux sur la diplomatie et les droits de l'homme (4) qui soulignaient que si les objectifs de la diplomatie ne pouvaient se limiter aux droits de l'homme, ceux-ci en constituaient un élément fondamental. Afin d'actualiser sa réflexion, elle a procédé à une série d'auditions de personnalités issues des institutions européennes, de la société civile, du monde universitaire et de l'administration française (5). Des sujets d'études comme les droits de l'homme dans l'action interne de l'UE ou la place de l'UE dans les organisations internationales, volontairement non développées dans le cadre du présent avis, pourront faire l'objet d'analyses approfondies ultérieures de la CNCDH.
5. La consécration des droits de l'homme dans l'action de l'UE est le fruit d'une longue évolution dont le traité de Lisbonne, entré en vigueur le 1er décembre 2009 (6), constitue une étape importante, en réaffirmant dès l'article 2 que : « L'Union est fondée sur les valeurs de respect de la dignité humaine, de liberté, de démocratie, d'égalité, de l'Etat de droit, ainsi que de respect des droits de l'homme (…) ». En outre, la Charte des droits fondamentaux de l'UE, adoptée en 2000, a acquis par le traité de Lisbonne une valeur conventionnelle au sein de l'Union (7). Elle s'applique à l'ensemble des actions de l'Union, y compris celles ayant une dimension extérieure (8). Aussi la Cour de justice de l'UE et les juridictions nationales disposent-elles désormais d'une nouvelle source sur laquelle s'appuyer pour veiller au respect des droits fondamentaux dans l'interprétation et l'application du droit de l'Union. Dans le même temps, le traité de Lisbonne prévoit l'adhésion de l'UE à la Convention européenne des droits de l'homme (CEDH).
6. En matière de politique extérieure, le traité de l'UE dispose que « dans ses relations avec le reste du monde, l'Union contribue (…) à la protection des droits de l'homme » (9) et que « l'action de l'Union sur la scène internationale repose sur les principes qui ont présidé à sa création, à son développement et à son élargissement et qu'elle vise à promouvoir dans le reste du monde : la démocratie, l'état de droit, l'universalité et l'indivisibilité des droits de l'homme et des libertés fondamentales, la dignité humaine, les principes d'égalité et de solidarité et le respect des principes de la charte des Nations unies et du droit international. L'Union s'efforce de développer des relations et de construire des partenariats avec les pays tiers et avec les organisations internationales, régionales ou mondiales qui partagent les principes visés au premier alinéa. (…) L'Union définit et mène des politiques communes et des actions et œuvre pour assurer un haut degré de coopération dans tous les domaines des relations internationales afin : (…) de consolider et de soutenir la démocratie, l'état de droit, les droits de l'homme et les principes du droit international » (10).
7. Dans ce cadre, les droits de l'homme sont devenus une composante essentielle de l'action extérieure de l'Union ainsi qu'un élément de son identité. Cette volonté s'est notamment traduite par des évolutions institutionnelles récentes : l'adoption du Cadre stratégique et du plan d'action de l'UE sur les droits de l'homme et la démocratie ainsi que la nomination d'un représentant spécial de l'UE pour les droits de l'homme. Ces deux avancées visent à renforcer la prise en compte transversale des droits de l'homme dans l'ensemble des politiques extérieures de l'UE. Elles réaffirment également la nécessité de conduire l'ensemble de ces politiques de manière cohérente et coordonnée (I). La recherche indispensable de cohérence, qui fonde la légitimité de l'Union, devrait se traduire par une utilisation coordonnée, effective et suivie des outils de la politique extérieure. Or, l'évaluation de ces outils démontre l'existence de marges d'améliorations possibles (II). La cohérence implique également que l'UE tienne le même langage dans les différentes enceintes internationales au sein desquelles elle trouve progressivement sa place (III).
8. Malgré l'importance croissante de l'Union sur la scène internationale et le renforcement de son action extérieure sur le plan institutionnel, le rôle des Etats membres reste prédominant en ce domaine. L'action extérieure de l'UE, et particulièrement la politique extérieure et de sécurité commune (11), sont largement conditionnées par l'influence des Etats membres et fonctionnent encore selon la méthode intergouvernementale. En outre, les Etats sont le plus souvent en première ligne dans la réponse aux crises, que ce soit dans les phases politiques, diplomatiques ou militaires. L'action extérieure de l'UE au sens large comprend donc aussi bien la politique des institutions européennes - sous l'emprise forte des Etats - que celle de ses Etats membres, dont certains sont membres permanents du Conseil de sécurité (12).
9. Cet avis adressé au Gouvernement s'inscrit donc dans cette logique d'influence des Etats, notamment de la France, sur l'action extérieure de l'Union et de nécessaire synergie entre les politiques étrangères nationale et européenne. Il n'a pas vocation à analyser de manière exhaustive les mécanismes institutionnels de la politique extérieure de l'Union en matière de droits de l'homme mais plutôt à dégager les grands traits de cette politique et à identifier les principales difficultés, afin de formuler des propositions concrètes pour en améliorer le fonctionnement.
10. A titre liminaire, la CNCDH constate un défaut général de lisibilité de l'action extérieure de l'Union ainsi qu'un manque de transparence sur la nature et les résultats de cette action, alors même que les moyens financiers mobilisés pour la politique extérieure de l'UE sont très importants (13) et appelleraient une réelle évaluation de son impact, mise à disposition des citoyens européens. L'accès à l'information, comme dans le cadre de négociations d'accords de libre échange (14), est parfois limitée, pour des raisons de confidentialité, et parfois entravée par la complexité institutionnelle de l'UE et par les difficultés d'accès aux documents en français.


I. - L'indispensable recherche de cohérence


11. La cohérence de l'action de l'Union à l'égard des pays tiers est la condition de sa crédibilité et donc de son efficacité. Elle comprend aussi bien la cohérence interne-externe que la cohérence externe-externe. En effet, il est essentiel que les exigences en matière de droits de l'homme posées par l'Union dans ses relations avec les pays tiers s'appliquent également à sa propre action interne ainsi qu'à celle de ses Etats membres, ce qui traduit l'exigence d'exemplarité qui doit les animer. En outre, la cohérence implique de la constance dans la conduite de la politique extérieure, en dépit de la diversité des sujets et des partenaires. Les politiques à l'égard des pays tiers, de quelque nature qu'elles soient, ne doivent pas se contredire ou se nuire, mais au contraire se renforcer. A cet égard, dans son dernier rapport annuel sur...

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