Avis sur les accords internationaux de commerce et d'investissement : Ne sacrifions pas les droits de l'homme aux intérêts commerciaux - L'exemple de l'accord économique et commercial global entre l'Union européenne et le Canada (CETA)

JurisdictionFrance
Publication au Gazette officielJORF n°0056 du 7 mars 2017
Record NumberJORFTEXT000034151268
CourtCOMMISSION NATIONALE CONSULTATIVE DES DROITS DE L'HOMME
Date de publication07 mars 2017


(Assemblée plénière - Jeudi 15 décembre - adoption : 33 voix « pour » 4 abstentions)


1. Depuis la crise financière de 2008, l'Union européenne (UE) fait face à un défi constant, celui de stimuler l'emploi, la croissance et l'investissement. Prouvant sa volonté d'y parvenir, l'UE a hissé ces objectifs en toute première ligne de ses priorités politiques. Elle a inscrit cette ambition dans une stratégie plus globale intitulée « Le commerce pour tous, vers une politique de commerce et d'investissement plus responsable », qui a été présentée par Mme Cécilia Malmström, la Commissaire européenne au commerce, en octobre 2015 (i). Elle a, à cette occasion, souligné que la politique commerciale de l'UE doit être plus responsable, autrement dit plus efficace, plus transparente, et en mesure de promouvoir non seulement nos intérêts mais aussi nos valeurs (ii).
2. La CNCDH se félicite de cette nouvelle approche, visant à pleinement intégrer la promotion et la protection des droits de l'homme dans la politique commerciale de l'UE, comme dans l'ensemble de ses politiques extérieures. Elle rappelle ses travaux antérieurs en la matière, notamment l'avis sur l'action extérieure de l'UE en matière de droits de l'homme (iii) - adopté le 26 juin 2014 - et l'avis sur le développement, l'environnement et les droits de l'homme (iv) - adopté le 16 avril 2015.
3. L'UE est en vertu des traités dotée d'une compétence exclusive en matière de politique commerciale commune (v). Au titre de l'article 207 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE), la Commission européenne est chargée, après approbation du Conseil de l'UE, et au nom des 28 Etats membres, de la négociation des accords internationaux de commerce et d'investissement.
4. C'est sur cette base qu'elle a entamé de nombreuses négociations bilatérales et conclu certains accords en matière de commerce et d'investissement avec des partenaires de tout continent (vi). Cependant, trois d'entre eux cristallisent l'attention. Il s'agit :
- de l'Accord économique et commercial global (CETA - en anglais Comprehensive Economic and Trade Agreement) avec le Canada, qui a été conclu le 26 septembre 2014 et signé le 30 octobre 2016 ;
- du Partenariat Transatlantique de commerce et d'investissement (TTIP - en anglais Transatlantic Trade and Investment Partnership) avec les Etats-Unis, dont les négociations lancées en 2013 ont vu les obstacles se multiplier de part et d'autre jusqu'à l'impasse dans laquelle elles se trouvent aujourd'hui ;
- et enfin de l'Accord sur le commerce des services (TISA - en anglais Trade In Services Agreement) avec 23 parties membres de l'Organisation mondiale du commerce (OMC), l'UE comprise, les Etats-Unis, la Suisse et le Canada, dont les négociations ont été entamées en 2013 (vii).
5. Dans le cadre de cette auto-saisine, la CNCDH a cependant fait le choix de n'examiner à la lumière des droits de l'homme que le seul de ces trois accords qui a été formellement conclu, à savoir le CETA, sans pour autant se priver d'illustrer certains aspects en se référant aux deux autres lorsque cela s'y prêtera, ni de revenir sur ces accords lorsque le moment sera venu. En effet, l'on sait d'ores et déjà que ces trois accords ont été construits de façon coordonnée et comprennent nombre de dispositions identiques.
6. Le CETA est l'accord incarnant le mieux la nouvelle approche de l'UE en matière de commerce et d'investissement. Il est ainsi en effet défini comme un accord de « nouvelle génération », soit un accord qui a vocation à être plus large qu'une simple élimination des barrières tarifaires au commerce. Alors que les accords classiques en matière de commerce et d'investissement entendaient ne traiter que des seules barrières tarifaires, c'est-à-dire des droits de douane, le CETA va plus loin. En s'attaquant aux barrières non-tarifaires au commerce, il fait entrer en son champ les mesures restrictives non tarifaires mises en place par un pays et visant à protéger son marché, qui se traduisent par exemple, par des normes techniques, mais aussi sociales, environnementales, ou encore fiscales.
7. Au vu de la pluralité des sujets réunis dans le CETA, et particulièrement de l'appartenance de certains à la sphère des droits de l'homme, cette situation sans précédent mérite d'initier une réflexion sur la concordance des différents enjeux présents en un seul et même accord (viii).
8. D'autre part, le CETA est susceptible de générer un effet d'entraînement dans la politique de commerce et d'investissement de l'UE, et de servir de « modèle » pour la régulation internationale. Selon la Commissaire européenne au commerce, le CETA est « la première étape vers la réforme du reste du régime mondial » (ix). Cette perspective est relayée par certaines institutions, dont l'Assemblée nationale, et des représentants de la société civile (x), conscients du rôle de modèle que sera amené à jouer le CETA une fois ratifié et entré en vigueur.
9. Enfin, le CETA représente l'accord le plus abouti, en comparaison avec le TTIP et le TISA qui sont tous deux en cours de négociations, pour le premier suspendu, et pour le second évoluant en pleine opacité.
10. Les relations commerciales entre le Canada et l'UE existent de longue date et reposaient, à titre principal, sur l'Accord-cadre de 1976 pour la coopération économique et commerciale qui a été complété par un ensemble d'accords sectoriels (xi). Les deux Parties ont alors fait le choix de tirer profit de cette relation bien assise et d'agréger ces différents accords en un partenariat unique. Les négociations ont été entamées en 2009 par la Commission européenne, sous mandat du Conseil de l'UE (xii), et se sont achevées le 26 septembre 2014 avec la remise de l'accord, soit après un cycle de cinq ans de négociations. Après une relecture juridique de part et d'autre des services pertinents, le CETA est en cours de traduction dans les langues usitées par les parties prenantes à l'accord (xiii).
11. La procédure d'adoption du CETA suit la procédure classique en matière d'accords internationaux (xiv). Sur proposition de la Commission, en juillet 2016 (xv), le Conseil de l'UE a adopté une décision autorisant cette dernière à signer l'accord au nom de l'UE. Après les réticences des députés de la Wallonie (xvi), le CETA a finalement été signé le 30 octobre 2016, après quelques jours de retard sur la date initialement prévue.
12. En effet, le blocage wallon a quelque peu bouleversé la conclusion et le contenu du CETA. Pour parvenir à signer l'accord, tout en respectant les desiderata des dirigeants belges francophones, autrichiens et allemands, les Parties ont établi un « instrument interprétatif commun » (xvii), en plus des 37 autres déclarations interprétatives unilatérales, ce qui n'est pas sans emporter un flou quant à leur statut juridique respectif (xviii). Cet instrument a pour ambition de préciser « clairement et sans ambiguïté » certaines dispositions « qui ont fait l'objet de débats et de préoccupations au sein de l'opinion publique » (xix). La nature juridique de cet instrument est néanmoins controversée : alors que certains points ne font que paraphraser le CETA, d'autres modifient la portée matérielle de l'engagement des Parties (xx). Il est néanmoins encore prévu que le texte du CETA évolue, au moins sur le chapitre relatif aux investissements, à la demande de la Belgique dont les régions ont annoncé qu'elles ne pourraient ratifier le CETA en l'état.
13. La signature du CETA ne vient toutefois pas clore toutes les incertitudes quant aux modalités de sa mise en œuvre. En effet, en vertu du droit de l'union, l'entrée en vigueur du CETA peut se faire dès le vote du Conseil. En pratique il est néanmoins d'usage d'attendre l'approbation du Parlement européen, qui devra consentir au traité à la majorité des suffrages exprimés. Une autre étape est prévue en cas de mixité de l'accord (xxi) - ce qui est le cas pour le CETA - à savoir une ratification par chacun des Etats membres de l'UE. Conscientes que les ratifications nationales prendront du temps, les Parties ont décidé que certaines dispositions de l'accord seraient appliquées provisoirement, dès sa ratification par le Parlement européen (xxii). Par conséquent, l'entièreté de l'accord n'entrera en vigueur qu'après les ratifications nationales mais une partie de ce dernier commencera à produire des effets dès maintenant.
14. Pour la CNCDH, cette application provisoire soulève différents questionnements. Tout d'abord, la notion de « mixité » perd toute sa portée si une application provisoire est faite de l'accord. En effet, le besoin d'obtenir l'assentiment des parlements nationaux semble surfait, car ils seront dans une situation de non-retour où l'accord qui leur est proposé aura déjà commencé à produire des effets. Il s'agit d'une imposition de fait du traité qui contrevient au principe même de mixité, plaçant la voix des parlements nationaux à hauteur de celle des institutions de l'UE.
Par ailleurs, une question plus ambigüe et complexe se pose quant aux conséquences d'un refus éventuel de l'un des parlements nationaux des Etats membres. A ce jour, cette question, pourtant épineuse, n'a encore trouvé aucune réponse définitive car il est difficile de savoir si le refus d'un parlement national mettrait en péril tout l'accord ou seulement une partie, ni même si le refus concernerait uniquement les compétences partagées ou bien également des compétences exclusives. A la demande de la Cour constitutionnelle allemande, le Conseil a précisé la procédure, dans le point 20 des déclarations à inscrire au procès-verbal : « Si la ratification de l'AECG échoue de façon définitive en raison d'une décision prononcée par une Cour constitutionnelle, ou à la suite de l'aboutissement d'un autre processus constitutionnel et d'une notification officielle par le gouvernement de l'Etat concerné, l'application provisoire devra être et sera dénoncée. Les dispositions nécessaires seront prises conformément aux procédures de l'UE...

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