Avis du 12 septembre 2022 relatif au centre national d'évaluation (CNE)

JurisdictionFrance
Publication au Gazette officielJORF n°0283 du 7 décembre 2022
Record NumberJORFTEXT000046691545
Date de publication07 décembre 2022
CourtCONTROLEUR GENERAL DES LIEUX DE PRIVATION DE LIBERTE
Enactment Date12 septembre 2022


Le centre national d'évaluation (CNE) est un service de l'administration pénitentiaire spécialisé dans l'examen de la situation de certaines personnes détenues majeures, parmi celles qui ont été condamnées aux plus longues peines d'incarcération. Initialement baptisé « centre national d'orientation » (en 1951) puis « d'observation » (en 1985) et dévolu à une mission d'affectation en établissements « pour peine » (centres de détention et maisons centrales), le CNE a vu son mandat élargi par l'entrée en vigueur de la loi du 25 février 2008 (1) relative, notamment, à la rétention de sûreté. Il procède aujourd'hui à deux types d'évaluation :


- l'évaluation initiale, prévue à l'article 717-1-A du code de procédure pénale (CPP), permet de déterminer l'établissement pour peine dans lequel seront affectées les personnes condamnées à la réclusion criminelle pour une durée supérieure ou égale à 15 ans pour des crimes limitativement énumérés par la loi (2), dans l'année de leur condamnation définitive. A titre facultatif, le ministère de la justice peut également décider du passage au CNE de certains détenus (notamment ceux qui sont écroués pour des faits de terrorisme, cette évaluation se superposant alors à celle qui peut également être conduite dans les quartiers d'évaluation de la radicalisation [3]) ;
- l'évaluation de fin de peine, prévue à l'article 730-2 du même code, est obligatoire dans le cadre de l'examen d'une demande de libération conditionnelle des personnes condamnées aux peines les plus longues (4) et à la réclusion criminelle à perpétuité. Les personnes susceptibles de faire l'objet d'une surveillance judiciaire (5) lors de leur libération peuvent aussi être évaluées au CNE, à la demande de l'autorité judiciaire.


Historiquement implanté au centre pénitentiaire de Fresnes (Val-de-Marne), le CNE dispose aujourd'hui de trois sites supplémentaires intégrés aux centres pénitentiaires Sud Francilien - Réau (6) (Seine-et-Marne) depuis 2011, de Lille-Sequedin (Nord) depuis 2012 et d'Aix-Luynes (Bouches-du-Rhône) depuis 2019. Hermétiquement séparés du reste de la détention, ces quartiers disposent d'un total théorique de 169 places pour les hommes (7) et assurent les deux types d'évaluation, à l'exception du site de Lille-Sequedin qui ne procède qu'aux évaluations de fin de peine. Les femmes sont orientées vers la maison d'arrêt des femmes (MAF) de Fresnes (quatre places pour les deux types d'évaluation) ou au centre de détention des femmes (CDF) de Réau (quatre places pour des évaluations de fin de peine). Quel que soit le type d'évaluation, les détenus sont affectés au CNE pour six semaines pendant lesquelles ils ont vocation à rencontrer les membres d'une équipe pluridisciplinaire composée de surveillants, de psychologues, de conseillers pénitentiaires d'insertion et de probation (CPIP) et des directeurs de la structure. En évaluation initiale, un agent du bureau de la gestion des détentions de la direction de l'administration pénitentiaire (DAP) intervient lors de la commission pluridisciplinaire de mi-session pour donner son avis et apporter des informations sur les taux d'occupation et les particularismes des établissements envisagés. Les sessions d'évaluation sont fixées annuellement, entrecoupées d'une semaine « blanche » pendant laquelle le départ des détenus évalués laisse place à l'arrivée de nouveaux. La synthèse d'évaluation écrite par l'équipe pluridisciplinaire tient lieu de support à la décision de transfert prise par la DAP dans le cas d'une évaluation initiale ou, dans celui d'une évaluation de fin de peine, à l'examen des demandes d'aménagement de peine par le tribunal de l'application des peines (TAP).
En 2021, le Contrôleur général des lieux de privation de liberté (CGLPL) s'est rendu dans les quatre sites du CNE pour contrôler le respect des droits fondamentaux des personnes qui y sont évaluées (8). Pour étayer le présent avis, le CGLPL s'est également appuyé sur les témoignages écrits qui lui ont été adressés.
Au vu de ses analyses et constats, il estime que tels qu'ils sont actuellement mis en œuvre, ces dispositifs d'évaluation entraînent des atteintes à une partie des droits fondamentaux des personnes privées de liberté. Les ruptures qu'un placement au CNE entraîne découragent parfois les condamnés au point de renoncer à demander un aménagement de peine, étape pourtant essentielle d'un parcours de réinsertion. Le fonctionnement de ce centre aux quatre sites décentralisés présente des incohérences qui mettent en cause la pertinence même de l'outil. Cet avis appelle à l'évolution du dispositif, à l'heure où un nouveau site spécialisé dans l'évaluation de fin de peine de certains auteurs d'infractions terroristes est créé au centre pénitentiaire de Vendin-le-Vieil (Pas-de-Calais) (9).


1. Le CNE, dont la gestion est lourde et lente, fonctionne selon un cadre incertain
1.1. Les délais d'attente à l'arrivée et au départ retardent l'orientation en établissement pour peine et bouleversent les démarches de préparation à la sortie


Chaque année, près de 800 personnes transitent par le CNE. Bien qu'un quatrième site (Aix-Luynes) ait ouvert en 2019, les délais d'affectation et de sortie de ces centres sont longs et supérieurs à ceux prévus par la loi. Les contrôleurs ont examiné le délai dans lequel les personnes condamnées relevant d'une évaluation obligatoire sont affectées au CNE dans le cadre de leur évaluation initiale. Selon les termes de l'article L. 211-3 du code pénitentiaire, les personnes condamnées auxquelles reste à exécuter une peine d'une durée supérieure à deux ans devraient pouvoir obtenir, à leur demande, un transfèrement en établissement pour peines dans le délai de neuf mois. Pour les condamnés relevant d'une évaluation préalable au CNE, dans les termes de l'art. 717-1-A du code de procédure pénale, cette affectation au CNE doit intervenir dans un délai supérieur au droit commun, à savoir « l'année qui suit la condamnation définitive ». En pratique, les délais moyens d'attente pour le seul transfert au CNE sont largement supérieurs, oscillant de quatorze à dix-huit mois selon les sites. Certaines personnes attendent plus de deux ans.
Les évaluations de fin de peine pâtissent également de délais d'attente importants, contraires aux dispositions légales qui encadrent dans un délai de six mois la saisine initiale du CNE par le TAP et la transmission de la synthèse d'évaluation à cette même autorité (art. D. 527-1 CPP). Une attente moyenne de huit à dix mois (certains délais pouvant avoisiner deux ans) sépare l'ordonnance de placement d'un individu au CNE et le départ de l'intéressé dans l'un des sites. A ce délai s'ajoute celui qui est nécessaire à l'évaluation, à la rédaction et à la transmission de la synthèse pluridisciplinaire au tribunal qui peut atteindre quatre mois. De tels délais alourdissent la procédure d'examen d'une demande d'aménagement de peine et sont de nature à décourager les intéressés en perturbant l'organisation de leurs projets à l'extérieur, en particulier lorsqu'une promesse d'embauche ou une place d'hébergement ont été obtenus.
S'agissant du départ du CNE, les personnes accueillies en évaluation de fin de peine rejoignent rapidement leur établissement d'origine. En revanche, l'attente est beaucoup plus longue pour les détenus ayant rejoint le centre dans le but d'une évaluation initiale. En effet, avant d'être transféré, il faut attendre la décision d'affectation de l'administration centrale, puis qu'une place se libère dans l'établissement de destination. Or, certains d'entre eux présentent des délais d'attente supérieurs à une année. Le taux d'occupation des établissements pour peine est d'ailleurs une variable essentielle dans la préconisation qui sera rendue par l'équipe pluridisciplinaire du CNE. Le choix de l'établissement de destination tient compte de cette contrainte, dont le représentant de la DAP est l'expert. En cela, le CNE constitue plus un outil de répartition des flux de la population pénale sur le territoire qu'un outil d'individualisation des parcours. Le CGLPL rappelle sa recommandation minimale n° 50 (10), selon laquelle l'orientation doit se faire dans l'intérêt exclusif des personnes qu'elle concerne et ne saurait avoir pour finalité de répondre aux contraintes d'organisation de l'administration.
A l'issue de la session, l'intéressé patiente dans des quartiers réservés (les hommes étant isolés du reste de la population pénale) à Fresnes et à Aix-Luynes, ou à l'unité d'accueil et de transfert (UAT) de Réau. Or, la prise en charge au sein de ces quartiers, qui ne devrait constituer qu'un sas très court, n'est pas adaptée en matière d'activités, de suivi sanitaire ou encore d'application des peines. De nombreux détenus se disent en difficulté lors de ce temps d'attente, qualifié par certains agents de « nouveau choc carcéral ». La situation est aggravée pour les femmes, qui sont évaluées puis patientent à la MAF de Fresnes, fréquemment surpeuplée : « Résultat, on a été obligé de nous doubler. Comme si cette période n'était pas assez traumatisante et compliquée à gérer avec soi-même. Je suis depuis dix semaines avec une grosse fumeuse (selon ses mots à elle, elle fume encore plus à cause du stress et de l'inactivité) » ; « Je pensais être transférée rapidement suite au CNE qui se termine, mais je dois y rester encore des mois avant d'être transférée. Je suis loin de ma famille, nous sommes tous fatigués et usés, je n'en peux plus ». Au total, le délai prévu par l'article L. 211-3 du code pénitentiaire est rarement respecté pour ces détenus condamnés à de longues peines.
Les délais de transfert au CNE doivent être réduits pour permettre une orientation rapide des personnes condamnées en établissement pour peine et l'examen des demandes d'aménagement de peine en temps utile. A l'issue de la session, les condamnés doivent rejoindre leur établissement de destination dans les plus brefs délais. L'information qui leur est délivrée lors de leur...

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